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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 14.djvu/110

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dez-vous avant dix minutes. Mon dîner m’attend, et, suivant la belle parole d’un de vos sages :

Un dîner réchauffé ne valut jamais rien.


Acacia donna les vingt mille dollars, et reçut en échange le testament. « Pourrai-je avec cela faire pendre maître Craig ? Demanda-t-il. — Non, monsieur, répondit Mac-Krabbe, mais vous le ferez mourir de rage. »

Craig voulut contester la validité du testament, et perdit son procès. Miss Alvarez, devenue riche, fit racheter les esclaves de M. Sherman, et leur donna mille dollars par tête avec la liberté ; mais aucun n’a voulu accepter la liberté, ni quitter sa maîtresse.

— Est-il possible ? dit l’Anglais étonné.

— Pourquoi non ? répondit Jeremiah. Ces pauvres gens sont fort heureux avec elle : ils mangent, boivent, font l’amour, et travaillent à leur aise dans la manufacture de poudre qu’elle a fait construire à Oaksburgh. Elle veille sur eux, elle les protège contre tous les malheurs qui sont la suite de l’imprévoyance. Chacun d’eux est toujours libre de la quitter. Personne ne courra après le fugitif. Elle fait construire une école pour leurs enfans…

— Oui, dit Deborah, et le dragon du papisme dévore ces âmes innocentes.

— En d’autres termes, reprit Jeremiah, elle a fait venir un petit abbé italien pour les catéchiser. C’est un jeune et joli prêtre, plein de grâces et de caresses comme un petit chien frisé ; il compte devenir évêque in partibus. Miss Alvarez le reçoit fort bien, le fait dîner avec elle, le gorge de bonbons et de sucreries. On n’en médit pas trop.

— Et votre ami le souffre ? dit John Lewis.

— D’abord je ne crois rien de ce qu’on dit ; de plus il est très difficile de savoir si Paul a les droits d’un amant sur miss Julia, car il s’en défend avec force, et, malgré les apparences, je ne sais qu’en penser. Les services rendus expliquent suffisamment leur intime amitié. Dès qu’elle fut devenue riche, elle voulut partager sa fortune avec lui. Il a refusé. Tout au plus a-t-il consenti à devenir son associé et à gérer les affaires de la société. Paul est aujourd’hui presque aussi riche qu’en Californie, et miss Alvarez a plus de six cent mille dollars.

— Est-ce l’usage des charpentiers de faire fortune au Kentucky ? dit l’Anglais.

— C’est une plaisanterie d’Acacia, ajouta Jeremiah. Il a été charpentier en effet et très habile charpentier. Quel métier n’a-t-il pas fait ! Aujourd’hui tous les charpentiers du comté travaillent sous ses