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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 14.djvu/137

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fleurs de magnolia. Pendant ce temps, John Lewis cherchait une réponse : il était fort embarrassé ; le lingot ne l’avait pas averti, pour qu’il pût jouer son rôle avec plus de naturel et de simplicité. Dans les pays parlementaires, chacun s’habitue de bonne heure à parler sans préparation. On parle au club, au meeting, sur la borne, partout. Le robinet de l’éloquence anglaise et américaine n’est jamais fermé. Malheureusement John n’était qu’à demi habillé : sa cravate était mise de travers, son gilet mal boutonné, sa barbe était longue. On sait combien ces détails influent sur les dispositions des plus grands orateurs. Enfin, au milieu du silence général, le docteur fut forcé de parler. « Messieurs, dit-il avec émotion, je vous remercie de l’honneur que vous me faites, et je l’accepte, non pour moi, mais pour la grande nation à laquelle j’appartiens et pour la sainte cause à laquelle je suis résolu de donner mon temps et ma vie… »

Il voulait continuer, mais Acacia, craignant qu’il ne s’embourbât dans quelque profession de foi trop explicite, fit signe aux musiciens de jouer la Marseillaise. Les instrumens couvrirent la voix de Lewis. La précaution était bonne ; les plus courtes harangues sont toujours les meilleures, et, comme dit Sancho Pança, celui qui ne parle pas est le seul qui ne dise pas de bêtises.

La foule se dispersa, et le lingot entra dans la maison d’Andersen.

— Ai-je bien fait les choses ? dit-il à John Lewis. Je vous ai servi un enthousiasme de première classe. Notez que c’est moi qui fais les frais.

— Quels frais ? demanda l’Anglais étonné.

— Parbleu ! croyez-vous qu’on réunisse gratuitement douze cents badauds pour donner une sérénade à un inconnu ?

— Quoi ! payez-vous tous ces gens-là ?

— Non ; je paie les musiciens et quelques hommes qui donnent le ton, c’est assez. Le reste a suivi, et crie par plaisir et par amour de l’art.

— Je vous remercie, dit l’Anglais ; mais vous auriez mieux fait d’attendre mon premier sermon avant de me décerner les honneurs d’une sérénade.

— Vous n’y connaissez rien, cher ami. Il fallait répondre vivement et promptement à l’article de Craig. Ma réponse, la voilà : c’est l’enthousiasme spontané que votre vue excite. Votre discours a été excellent. Je vous ai arrêté à temps ; vous alliez gâter vos affaires et les miennes. Un homme de votre mérite doit remercier en trois mots, comme un prince… À propos, savez-vous la nouvelle ?

— Quelle nouvelle ?