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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 14.djvu/143

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On entendait leurs poings retomber en cadence sur leurs poitrines avec la pesanteur et le bruit des marteaux sur les enclumes. Plus habile à frapper qu’à parer, Tom Cribb cassa d’un coup deux dents à son adversaire. Appleton, sans perdre courage, le frappa au creux de la poitrine et lui fit cracher un sang noir, Cribb en fut ébranlé, et son ennemi, profitant de son hésitation, redoubla le coup ; mais l’Irlandais, ramassant toutes ses forces, termina le combat d’un coup de tête dans le ventre. Appleton alla rouler sous les chaises des assistans.

Après cet exploit, la mêlée devint générale. Les femmes et les enfans fuyaient hors de l’église en poussant des cris affreux. Les hommes qui n’étaient pas mêlés à la querelle suivirent cet exemple plus lentement, et les Irlandais de Cribb, restés seuls en présence des méthodistes d’Appleton, firent des prodiges de valeur. Moins nombreux que leurs adversaires, mais encouragés par le succès et l’exemple de leur chef, ils s’avançaient vers le fond du temple, balayant tout devant eux. Rangés sur quatre rangs de six hommes de front, ils avaient le poids et la puissance irrésistible de la phalange macédonienne. À côté d’eux marchait en serre-file, la tête haute, le terrible Tom Cribb, qu’aucun méthodiste n’osait aborder après la défaite d’Appleton. Acacia, immobile à sa place, dirigeait l’action sans y prendre part, comme Napoléon suivait avec sa lunette les mouvemens des Russes et des Autrichiens à Austerlitz. Craig, avec le même sang-froid, faisait sa retraite en évitant soigneusement le combat et les combattans. Chacun d’eux sentait que le moment n’était pas venu de se lancer dans la mêlée. Un bon général ne doit s’exposer à être tué que dans les occasions extraordinaires.

En quelques instans, le temple se trouva vide, et le combat devint sanglant. Je ne parle pas des nez meurtris, des yeux pochés, des poings foulés, et des autres résultats habituels de la boxe. Quelque chose de plus grave se préparait. Un Irlandais, qui avait la lèvre fendue, tira de sa poche un revolver et fit feu sur son ennemi. Celui-ci riposta aussitôt avec un pistolet, et de toutes parts on entendit siffler les balles. À ce bruit, Acacia, qui était resté jusqu’alors dans le temple, se hâta de sortir et courut sur le champ de bataille. C’était une grande pelouse verte, plantée de chênes énormes, qui s’étendait depuis l’église jusqu’à un précipice à pic au bas duquel coulait le Kentucky. De l’autre côté de la rivière étaient d’immenses prairies, entrecoupées de forêts, qui se prolongeaient jusqu’au pied des monts Cumberland. Chacun des deux partis s’efforçait de pousser l’autre dans le précipice. Cependant ni les uns ni les autres n’avaient obtenu de succès décisif. Dès les premiers coups de pistolet, chaque