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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 14.djvu/201

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et se préparent dans le Céleste-Empire. Il en est de même de Timor, qui occupe une position avantageuse dans la Malaisie.

Voilà donc quatre puissances européennes qui, à des degrés différens et bien inégaux, sont établis dans l’extrême Orient : l’Angleterre, la Hollande, l’Espagne et le Portugal. Les États-Unis ne sont fixés nulle part, mais leur pavillon flotte partout. Les citoyens américains ouvrent des comptoirs dans tous les ports, leurs navires sillonnent toutes les mers ; leur génie commercial n’a pas besoin de colonies coûteuses et souvent embarrassantes pour la politique des métropoles ; il sait exploiter avec profit les colonies que d’autres ont créées et se faire partout une large place. Les États-Unis dédaignent le sol, mais la mer est à eux. Quant à la Russie, ce n’est point sans raison que les cabinets européens se préoccupent si vivement, depuis quelques années, du développement que prennent ses établissemens militaires sur la côte de la Sibérie, de ses entreprises sur les rives du fleuve Amour, des croisières qu’elle entretient dans le nord de l’Océan-Pacifique, des démarches qu’elle renouvelle, sans se lasser, pour obtenir accès au Japon. Pendant les derniers siècles, la Russie ne se trouvait en relations avec l’extrême Orient que par la frontière de Sibérie, sur le marché de Kiakhta, et elle se contentait d’une sorte de collège installé à Pékin en vertu d’anciens traités et de vieilles habitudes acceptées par le gouvernement chinois. Aujourd’hui son ambition prétend à un rôle plus étendu et plus actif ; elle a franchi d’un bond les déserts de la Sibérie et s’est placée en observation sur la côte orientale. Il ne faut point s’en étonner ; cette ambition est très légitime, elle est nationale, elle est inspirée par les traditions de la politique moscovite. Rien de plus naturel que de voir le cabinet de Pétersbourg tourner son attention vers les points où se portent les autres nations européennes, alors surtout que ces points sont voisins de ses rivages, et que sa situation géographique l’intéresse naturellement aux destinées du Céleste-Empire et du Japon ; mais il est juste aussi que les autres puissances prennent garde à cette Intervention d’abord latente, désormais déclarée, de la Russie dans les affaires asiatiques, et qu’elles tiennent compte de la concurrence nouvelle qui se produit. Pour l’Angleterre, c’est l’annonce d’une sérieuse compétition politique sur un terrain où la prépondérance britannique était depuis longtemps habituée à ne point rencontrer d’obstacles ; c’est un grave sujet de préoccupations, sinon d’inquiétude. Pour la France, c’est un enseignement qu’il ne faudrait point dédaigner. Si le gouvernement russe estime que l’heure est venue d’étendre son action vers l’extrême Orient, et que cette région de l’Asie est en quelque sorte mûre pour l’Europe, on peut se fier à la finesse de son instinct : il y a là quelque chose à faire, et la France ne saurait se résigner à un rôle purement passif, sous peine de voir se déranger à son préjudice les élémens de l’équilibre européen ; car plus nous allons, plus les intérêts des diverses parties du monde se rapprochent et se confondent. De même que la conquête de l’Amérique a assuré au XVIe siècle la grandeur politique et la prospérité matérielle des nations qui les premières ont couru cette lointaine aventure, de même aujourd’hui les idées et les convoitises de l’Europe sont entraînées vers l’extrême Orient, et l’influence est promise aux peuples assez habiles pour s’y ménager une place. On ne sera désormais