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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 14.djvu/203

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chéry demeurerait à la merci de l’Angleterre ; ce ne serait qu’une possession précaire, dépendante, sans profit pour notre influence, sans honneur pour notre drapeau. Mieux vaudrait encore accepter définitivement la destinée qui nous a été faite dans cette région de l’Inde, où nous ne saurions plus prétendre à contre-balancer la puissance anglaise, et proposer l’échange de nos cinq petits établissemens contre divers comptoirs que l’Angleterre ne ferait peut-être pas difficulté de nous abandonner sur la côte occidentale d’Afrique. L’Angleterre saisirait avec empressement l’occasion de se délivrer, dans l’Inde, d’un voisinage qui, sans lui être périlleux, dérange l’harmonie et l’unité de sa domination. Quant à la France, les comptoirs qu’elle obtiendrait sur la côte d’Afrique seraient placés sous la protection du Sénégal ; ils compléteraient cette belle colonie dont on commence à apprécier les avantages, et que le gouvernement, par d’intelligens sacrifices, semble vouloir tirer d’un trop long oubli. Quoi qu’il en soit, la seule proposition que nous cherchions à établir est celle-ci : alors même que l’on pousserait le culte des souvenirs historiques au point de conserver les chétives possessions qui ont survécu à notre ancien empire dans l’Inde, l’influence française dans cette partie de l’Asie est et demeure annulée, et ce n’est point là que nous devons espérer de la voir renaître. Si nous voulons fermement la relever, c’est ailleurs, c’est plus à l’est, vers les régions qui sont encore ouvertes à toutes les ambitions, et où nous voyons se diriger si activement, depuis peu d’années, les efforts de l’Angleterre, de la Russie, des États-Unis, c’est vers l’extrême Orient qu’il faut porter nos regards.

Les gouvernemens qui se sont succédé en France depuis la révolution n’ont point méconnu la nécessité de reprendre dans les contrées de l’Orient les traditions de l’ancienne monarchie. Nous avons montré Napoléon rêvant l’empire des Indes. Après lui, la restauration, désireuse de développer la marine et le commerce extérieur, expédia plusieurs frégates qui devaient promener dans les mers d’Asie le drapeau sous lequel avaient combattu Labourdonnaye et Dupleix, qui avait flotté en Cochinchine et à Siam, et dont les missions catholiques avaient été habituées à invoquer le glorieux appui. Une seconde révolution vint interrompre cette tentative. Aux prises avec des difficultés européennes et menacé à l’intérieur, le gouvernement de 1830 dut négliger, pendant quelques années, les affaires de l’Inde. Sa marine était d’ailleurs honorablement employée sur d’autres points : dans l’Escaut, dans le Tage, dans le golfe du Mexique, dans la Méditerranée, dans la Plata. Nul intérêt immédiat ou pressant ne l’appelait en Asie, et il se serait bien gardé de se lancer dans des aventures lointaines qui eussent détourné une partie de ses forces, multiplié peut-être les embarras de sa politique étrangère et imposé de lourdes charges au budget. Le commerce de la France dans l’extrême Orient étant demeuré à peu près nul, la station navale des mers de l’Inde et de la Chine fut, de 1830 à 1840, réduite à l’effectif le plus minime. La guerre qui éclata entre l’Angleterre et le Céleste-Empire attira de ce côté l’attention du gouvernement et du public. Dès ce moment, la France voulut bien s’occuper de la Chine, de la Cochinchine, même du Japon, et étudier de plus près la révolution qui commençait à s’accomplir dans les rapports de l’Orient avec l’Europe.