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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 14.djvu/32

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qui remontent aussi haut. Au-delà donc s’étend une période immense, remplie par les trois âges successifs. Ils furent tous occupés par la formation de ces mille industries sur lesquelles la vie moderne repose comme sur un fondement solide. Les religions primitives y présidèrent sous des formes qui s’épuraient à mesure qu’un âge remplaçait un autre âge ; elles en furent l’élément moral, que la nature humaine développait et auquel elle se soumettait de plus en plus, selon le progrès général. Il n’est pas probable que dès lors l’élément intellectuel se soit dégagé comme spéculatif et abstrait, et ait cherché la vérité en elle-même et la théorie des choses ; il demeura appliqué à la satisfaction des besoins de la vie et à l’exploration empirique ; labor improbus et duris urgens in rebus egestas, a dit très bien Virgile. Tout au plus peut-on supposer que, vers la fin, des essais de spéculation scientifique commencèrent à naître, et que furent faits quelques rudimens abstraits d’arithmétique d’abord, puis de géométrie ; mais en définitive toute cette période doit être assignée, d’une façon générale, à l’empire des besoins urgens et aux moyens d’y satisfaire.

Entre des périodes ainsi caractérisées et les âges mythologiques du genre humain, y a-t-il lieu de chercher un rapport même éloigné ? Est-on autorisé par la similitude apparente à voir dans les légendes antiques, parées de l’imagination des poètes, quelque chose de plus que des conceptions suggérées uniquement par des besoins moraux et par des inspirations religieuses ? En un mot, peut-on y distinguer un certain reflet de souvenirs presque effacés de la mémoire des hommes ? La division ordinaire était en or, argent, cuivre et fer. Il est certain que cette division reproduit assez bien l’évolution de la civilisation quant aux métaux ; l’or a précédé le cuivre, lequel a précédé le fer. Et la légende décrit en même temps comment la vie va se compliquant : tout d’abord l’homme n’avait qu’à jouir du printemps perpétuel et fécond de la terre ; mais d’âge en âge tout se resserre et se supprime, et simultanément les arts naissent et se multiplient ; mais aussi naît et se multiplie la perversité. De ce tableau il ne peut demeurer que trois traits : une espèce de printemps général ou du moins une température plus uniforme répandue sur le globe, la succession des métaux et la complication concomitante de la vie. Le reste est en contradiction avec les témoignages encore écrits, à défaut de l’histoire, dans les dernières couches du globe. Les premiers hommes, bien loin d’être dans une oisiveté que ne stimulait aucun besoin, taillaient des silex pour se faire des instrumens et des armes ; bien loin d’être en paix sur une terre toute clémente, ils étaient engagés dans la grande guerre avec les animaux puissans ; bien loin d’être supérieurs en intelligence et