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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 14.djvu/359

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pleine de promesses. Ils reproduisent les vives impressions de l’époque, ils nous y font vivre en quelque sorte. Là, sauf quelques inconséquences auxquelles il faut se résigner dans tout ce qui vient du maréchal, il est loin de se montrer hostile à Napoléon. Il le peint même parfois sous des traits assez aimables, plus affectueux, plus gracieux que ne se le représentent ceux qui l’ont vu seulement aux dernières époques de sa vie. Il parle dignement, magnifiquement, de sa gloire et de son génie. Il est vrai que, tout en célébrant, dans ses appréciations générales, ces immortelles campagnes comme les chefs-d’œuvre de l’art militaire, on pourrait croire qu’il s’attache, par les détails de sa narration, à nous en laisser une impression toute différente. Il nous y signale tant de fautes, de témérités, de résultats dus à d’heureux hasards, qu’on est parfois tenté de se demander si ces hasards n’ont pas fait toute la fortune de Napoléon. Je ne crois pourtant pas que dans cette partie de l’ouvrage l’auteur ait eu l’intention de nous placer sur cette voie, de nous suggérer de telles appréciations. Je suis convaincu qu’il cède, sans bien s’en rendre compte, à ce besoin de critique et de blâme qui était dans sa nature, à cette habitude d’esprit qui consiste à chercher dans de petits incidens les causes des plus grands événemens, à restreindre démesurément la part d’influence des grands hommes pour augmenter d’autant celle de ce qu’on appelle la fortune, comme si le génie dans l’action était autre chose que l’aptitude à discerner et à mettre à profit les chances favorables qu’elle offre à ceux qui savent en profiter, comme si l’infériorité des hommes médiocres ne consistait pas précisément en ceci, qu’ils ne savent pas les apercevoir à temps pour en tirer parti.

À cette époque d’ailleurs, la carrière de Marmont s’ouvrait sous des auspices trop brillans, pour que le souvenir n’en soit pas resté gravé dans son esprit en traits dont l’éclat devait au moins tempérer sa malignité ordinaire, et la misanthropie qui s’était emparée de lui lorsqu’il écrivit ses Mémoires. En quatre années, de simple capitaine, il devint général de division, inspecteur général de l’artillerie, conseiller d’état, ce qui était alors une très grande position, puis bientôt après commandant en chef du corps d’armée qui occupait la Hollande. Son courage, son zèle, sa grande intelligence, le mettaient sans doute au niveau de ce prodigieux avancement. On peut douter pourtant que, sans la faveur déclarée du général en chef des armées d’Italie et d’Egypte, du premier consul de la république, il l’eût obtenu aussi rapide. Il est à remarquer en effet que jusqu’alors il n’avait exercé aucun grand commandement, et que les services qu’il avait rendus, quelque réels, quelque éminens qu’ils pussent être, n’étaient pas de ceux qui portent un homme au premier rang. Lui-même, il est vrai, il n’en jugeait pas ainsi. S’il n’ose pas s’at-