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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 14.djvu/362

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plus désintéressé, par conséquent plus digne de confiance. Cette disposition meilleure n’est pourtant pas constante. Il y a encore, dans cette partie même de ses Mémoires, plus d’une trace de ces préventions passionnées qui lui sont trop habituelles, et qui, si on connaissait parfaitement toutes les circonstances de sa vie, s’expliqueraient toutes, j’en suis convaincu, par des ressentimens personnels. Un différend qu’il eut alors avec le prince Eugène, qui gouvernait le royaume d’Italie, contigu aux provinces illyriennes, est trop évidemment le premier principe de l’aversion qu’il témoigne contre lui et de ses efforts redoublés, non-seulement pour déprécier la capacité du prince, mais encore et surtout pour détruire sa réputation universellement reconnue de droiture et de loyauté, pour construire contre lui une accusation de trahison dont l’échafaudage a été complètement renversé par d’irréfragables réfutations.

Ce séjour dans les provinces illyriennes, s’il ne fut pas la partie la plus éclatante de la vie publique du maréchal, fut peut-être la plus heureuse. La guerre de 1809 y mit fin. Appelé à concourir, avec l’armée d’Illyrie, aux opérations de la grande armée, qui prit Vienne pour la seconde fois, et imposa à l’Autriche, par la victoire de Wagram, la paix triomphante de Schoenbrunn, Marmont rendit dans cette campagne de bons et notables services. Il paraît qu’il commit aussi quelques fautes; il avoue, ou à peu près, que, chargé de poursuivre les vaincus et pouvant faire mettre bas les armes à un corps autrichien considérable, il en perdit l’occasion pour n’avoir pas voulu appeler à son aide un de ses compagnons d’armes avec qui il lui répugnait de partager l’honneur du succès. Napoléon toutefois, sévère à l’excès pour les erreurs de ses lieutenans lorsqu’il en résultait des conséquences fâcheuses, se montrait souvent plus indulgent pour celles que couvraient les faveurs de la fortune. Sans dissimuler à Marmont son mécontentement, il ne lui tint compte que du zèle et des talens incontestables dont il avait fait preuve; il le créa successivement duc de Raguse et maréchal d’empire.

S’il faut en croire le nouveau maréchal, l’attente prolongée de cette haute dignité, à laquelle il lui semblait qu’il arrivait bien tard, quoiqu’il eût à peine trente-cinq ans, avait usé d’avance le plaisir qu’elle lui aurait fait quelques années plus tôt, et il n’en sentit bien le prix qu’en remarquant l’attitude toute différente que prirent à son égard les officiers généraux dont il était auparavant le collègue. Il n’est pas difficile d’apercevoir les motifs qui diminuèrent sa satisfaction, il les indique très clairement : duc et maréchal, il voyait encore au-dessus de lui d’anciens compagnons d’armes, ses aînés, il est vrai, devenus les uns princes souverains, les autres princes titulaires, ce qui constituait le premier degré de l’aristocratie impériale, ou bien pourvus de dotations plus considérables que les