Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 14.djvu/367

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ton, personne ne l’avait prévu, parce qu’en Angleterre, comme en France, comme dans toute l’Europe, on s’était généralement attendu à voir réussir une expédition annoncée et préparée avec un grand éclat, et conduite par celui qu’on appelait l’enfant chéri de la victoire, par le héros qui venait de se surpasser lui-même en sauvant à Essling l’armée française si gravement compromise. Aujourd’hui que d’abondantes et curieuses révélations nous ont fait connaître ce qui se passait alors dans la Péninsule, qu’elles nous ont montré la détresse des armées françaises, manquant le plus souvent de vivres et d’approvisionnemens de toute espèce, dirigées par des chefs indépendans les uns des autres et toujours divisés, ayant à lutter, non-seulement contre les armées régulières de l’Angleterre, de l’Espagne, du Portugal, et contre les innombrables guerrillas qui leur servaient d’auxiliaires, mais contre le mauvais vouloir des populations, privées de tous moyens de communication et d’information, ne possédant que le terrain même sur lequel elles campaient, ignorant complètement ce qui se passait à quelques lieues de là, ne recevant de France des secours, des ordres, des nouvelles qu’à de rares et longs intervalles ; aujourd’hui, dis-je, que nous savons tout cela, loin de nous étonner des revers définitifs subis par les lieutenans de Napoléon, nous avons plutôt lieu d’admirer la persévérance et l’habileté qui leur ont permis de se maintenir si longtemps contre un ennemi pourvu de tant d’avantages. Jamais situation ne fut plus déplorable que la leur. Elle l’était d’autant plus que leur maître, qui en était le véritable auteur, qui ne pouvait se dissimuler la gravité des fautes dont elle était le résultat, voulant en détourner de lui-même la terrible responsabilité, essayait de la rejeter sur eux et de se justifier à leurs dépens. Ce n’est pas seulement au point de vue de la morale et de l’honneur que l’Espagne a été le grand écueil de la gloire de Napoléon. Dans aucune autre question, il n’est resté aussi constamment au-dessous de cette prodigieuse habileté, de ce génie dont l’activité toute puissante semblait partout ailleurs dominer la fortune. Il parut n’être venu un moment dans la Péninsule que pour s’assurer par ses propres yeux de l’erreur où il était tombé sur l’état de ce pays, pour se convaincre de l’immensité des difficultés d’une entreprise qu’il avait crue si aisée. S’il était pour lui un moyen de la terminer avec succès, c’était d’y consacrer toutes ses forces, d’en prendre lui-même la direction. Il est permis de penser qu’en s’y mettant tout entier, il serait parvenu à jeter les Anglais dans la mer, et à devenir, au moins pour quelque temps, le maître de la Péninsule ; mais il n’osa pas tenter en personne ce coup de dé décisif. Certain, je l’ai déjà dit, du mauvais vouloir de l’Europe entière, que la force et la crainte retenaient seules sous sa domination, et se rappelant qu’en 1809 sa courte ap-