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tard des armées espagnoles, maître absolu de ses opérations, qu’il n’avait à concerter avec personne, abondamment pourvu de toutes les ressources matérielles que les trésors de l’Angleterre lui fournissaient sans mesure, et secondé par le bon vouloir des populations, qui favorisaient ses mouvemens et ne lui laissaient rien ignorer de ceux de l’ennemi, il avait d’immenses avantages sur les généraux français, à qui tout cela manquait. Il en a certainement tiré parti avec une rare habileté : profitant de toutes les fautes de ses adversaires, il en a lui-même commis très peu, et les a promptement réparées; mais on peut dire, je crois, sans encourir le reproche de malveillance envers lui, que dans une telle situation son triomphe définitif est beaucoup moins surprenant que ne l’eût été un résultat contraire, et que peut-être il a fallu à quelques-uns de ceux qu’il combattait autant de talent et d’énergie pour prolonger une lutte aussi inégale qu’à lui pour la mener à bon terme.

Tel était l’homme contre qui le maréchal Marmont, appelé au commandement de l’armée qui devait conquérir le Portugal, ou tout au moins protéger de ce côté le territoire espagnol, se trouva avoir à combattre; telles étaient leurs situations respectives. Déjà, comme je l’ai dit, les préparatifs de l’expédition de Russie, portant ailleurs les préoccupations du gouvernement français, divisaient ses forces et encourageaient ses ennemis. Non-seulement les généraux français qui faisaient la guerre en Espagne durent comprendre qu’ils n’avaient plus de renforts à attendre, mais on commença à leur retirer quelques-unes de leurs meilleures troupes pour les diriger vers le Nord, et lord Wellington, qui jusqu’alors s’était presque constamment tenu sur une vigoureuse défensive, prit peu à peu, avec lenteur et circonspection, une attitude agressive.

Le duc de Raguse explique très bien les insurmontables obstacles qui l’empêchèrent d’opposer une résistance efficace aux projets du général anglais, l’insuffisance de ses moyens en tout genre, le manque presque absolu d’argent, l’impossibilité d’obtenir d’une population hostile des informations précises sur la marche et la position de l’ennemi. Il démontre péremptoirement que les ordres, d’ailleurs assez mal conçus et contradictoires, qu’on lui envoyait de Paris supposaient constamment un état de choses, des ressources imaginaires, et ne tenaient aucun compte de la réalité. Sa justification me paraît complète, mais elle ne s’applique pas seulement à lui, elle peut être invoquée en faveur de tous les autres généraux employés à cette époque en Espagne; elle explique également leur impuissance et leurs revers, et c’est ce que le maréchal, uniquement préoccupé de sa propre défense, ne paraît pas comprendre. Bien loin de là, il leur prodigue les accusations, les reproches, qu’il trouve avec raison mal fondés lorsqu’il en est lui-même l’objet, mais qui ne sont pas moins