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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 14.djvu/436

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être distribués par paires, et c’est ce qu’on va essayer de prouver au moyen d’un cas particulier.

S’étendant entre le 13e et le 30e parallèle nord, dans une direction à peu près nord et sud, la mer Rouge ne reçoit aucune rivière, et de plus elle est le théâtre d’une incessante et active évaporation que ne vient compenser aucune pluie. L’eau ainsi enlevée à cette mer y est remplacée par un courant de surface[1] venant de l’Océan, courant dont l’observation constate l’existence au détroit de Bab-el-Mandeb ; mais en même temps l’eau chargée des sels abandonnés par la puissante évaporation que nous avons signalée descendra au-dessous de la surface par suite de sa densité, et alors de deux choses l’une : ou l’eau des couches inférieures de la mer Rouge deviendra peu à peu sursaturée, et finira par tapisser le fond de cette mer d’un lit de sel cristallisé que nous savons n’y pas exister[2], ou cette eau sera entraînée à l’Océan par un courant sous-marin, ce que va nous démontrer une expérience fort simple. Imaginons une cuve communiquant à une auge longue et étroite au moyen d’une ouverture fermée par une cloison mobile ; remplissons la cuve d’huile et l’auge de vin, de manière que les deux liquides aient le même niveau ; enlevons ensuite la cloison, et nous verrons un courant supérieur d’huile s’introduire de la cuve dans l’auge, en même temps qu’un courant inférieur entraînera le vin de l’auge dans la cuve. Il est presque inutile d’ajouter que la cuve est ici l’Océan avec son eau de pesanteur spécifique normale, tandis que l’auge représente la mer Rouge, et le vin, l’eau plus salée et plus dense de cette mer.

Un raisonnement analogue a conduit Maury à la nécessité d’admettre au détroit de Gibraltar un semblable courant sous-marin, se rendant de la Méditerranée dans l’Océan ; mais ici l’objection soulevée par son opinion revêt une forme spécieuse qui pourrait tromper au premier abord. Le fond de la mer présente en effet dans ce détroit

  1. Ce courant offre une particularité remarquable en ce que sa surface supérieure se présente sous la forme d’un plan incliné du détroit vers l’isthme de Suez. Supposons-lui en effet une vitesse de 20 milles marins par jour : une tranche liquide déterminée mettra par suite cinquante jours à se rendre de Bab-el-Mandeb à Suez. Or, en admettant, ce qui est à peu près vrai, une évaporation diurne de 15 millimètres, cette tranche, parvenue au terme de son trajet, aura perdu à la surface une couche liquide de 75 centimètres d’épaisseur ; en d’autres termes, elle aura, une fois arrivée à l’isthme, un niveau inférieur de 75 centimètres à celui qu’elle avait en quittant le détroit. Le gulf-stream présente un phénomène en quelque sorte inverse, et, contrairement à ce que nous voyons dans les rivières dont le lit est toujours plus ou moins incliné vers l’embouchure, il remonte de la passe de la Floride au cap Hatteras le long d’une véritable rampe d’une inclinaison de 0m13 par kilomètre. C’est ce que l’on a pu conclure de sa vitesse et de ses dimensions connues.
  2. D’après les calculs du docteur Buist, une semblable hypothèse aurait pour résultat de transformer en 3,000 ans la mer Rouge en une masse solide de sel cristallisé.