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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 14.djvu/438

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rieures. Enfin comment expliquer, d’après la doctrine de Lyell, le phénomène que nous présentent certains fleuves, tels que le Mississipi, où l’on voit chaque barre[1] successive disparaître à mesure qu’une nouvelle vient à se former en aval de la précédente ? Selon Lyell, le courant du fleuve devrait simplement mettre en mouvement une tranche superficielle d’une épaisseur égale à la profondeur de l’eau sur la barre, tandis qu’il agit au contraire assez profondément pour fouiller les matériaux de l’ancienne barre et les rejeter par-dessus la nouvelle, c’est-à-dire par-dessus une barrière s’élevant presque jusqu’à la surface du fleuve. Sans insister davantage sur un système dont l’effet serait de restreindre le mouvement des eaux aux couches liquides situées au-dessus du niveau des élévations sous-marines les plus considérables, nous avouerons, avec Maury, qu’il nous semble impossible d’admettre une circulation aussi rudimentaire et aussi imparfaite dans la masse océanienne[2].

Cette circulation, nous l’avons vu, est due en partie à la propriété saline de l’eau de mer, ou du moins son activité s’en trouve notablement accrue ; le rôle et l’utilité des sels sont donc ainsi justifiés. D’où proviennent-ils ? Telle est la question qui se présente ensuite naturellement à l’esprit, et à laquelle répondra une observation qui trouve fréquemment lieu de s’appliquer. Supposons un lac privé de tout déversoir, et dans lequel débouchent un ou plusieurs cours d’eau : l’eau de ce lac deviendra d’abord saumâtre, puis de plus en plus salée, jusqu’à donner lieu aux dépôts cristallins que l’on constate dans le lit de la mer Morte par exemple. Que ce lac soit mis en communication avec la mer, sa salure disparaîtra. Ce fait remarquable donne une des explications admises aujourd’hui de la présence des sels renfermés dans l’eau de mer[3], et conduit à cette conclusion, que les sels marins proviennent de l’intérieur des terres, où ils ont été

  1. Nom que l’on donne aux bancs qui obstruent et barrent transversalement l’embouchure de la plupart des fleuves.
  2. En exposant les traits principaux de cette discussion, nous avions surtout pour but de faire ressortir les idées générales sur les courans sous-marins auxquelles conduisent les argumens de Maury, et, en ce qui concerne le cas particulier du détroit de Gibraltar, nous ne reproduisons que sous toutes réserves les conclusions du célèbre Américain. Ses adversaires proposent en effet une solution assez admissible, et, d’après eux, le rôle que nous avons attribué au courant sous-marin serait rempli par des courans latéraux de surface de même direction, c’est-à-dire se rendant de la Méditerranée dans l’Océan le long des côtes d’Espagne et d’Afrique.
  3. Maury avait primitivement admis cette explication, qu’il a rejetée plus tard. En effet, d’après cette théorie, la salure de la mer devrait être postérieure à la formation des rivières, tandis que l’étude des divers terrains et des restes fossiles trouvés sur tous les points du globe nous montre que la mer n’a jamais été douce, même lorsqu’elle recouvrait presque en totalité notre planète. C’est là du reste une discussion d’un caractère essentiellement géologique, et par conséquent étrangère à notre sujet.