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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 14.djvu/455

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tres une chevelure blonde où se maintenait une triomphante lumière de jeunesse et de grands yeux noirs dont la douceur suppliante aurait dû arrêter le courroux du Temps. Son affection, son amitié, sa tendresse, je ne sais trop comment dire, car je ne veux pas être accusé de médisance, avaient dû être une monnaie fort précieuse; seulement elle avait souvent changé d’empreinte. En ce moment, le profil qui s’y dessinait était la tête busquée, un peu moutonnière, que je n’ai jamais aimée pour ma part, de don Gil Valdez d’Hermosa. Que don Gil soit connu, on me l’a souvent assuré, pour le plus grand orateur de l’Espagne, c’est possible; à coup sûr, c’est un triste Abencerage. On ne sent rien dans les yeux saillans qui éclairent d’une lumière terne sa face molle. Vous ne l’avez pas vu à la tribune : d’accord, et j’avouerai même que j’ai une médiocre envie de l’y voir; mais Mme de Blesmau ne l’y a pas vu non plus. Ce qui la peint tout entière, elle a été fidèle à sa foi dans les réputations établies. Elle a pris avec l’étiquette qu’il portait l’objet qu’on nous expédiait d’Espagne. Enfin, pour un motif ou pour un autre, elle est devenue inséparable de don Gil. Dès qu’on voit à la porte d’un salon les cheveux blonds de Mme de Blesmau, on est sûr qu’on va voir s’allonger la tête du comte d’Hermosa.

Pourtant, il y a de cela quatre années, ces cheveux blonds précédèrent une tout autre apparition que celle de don Gil. Un soir Mme de Blesmau prie le parti, qui coûte de si cruels efforts à tant de femmes, de produire le témoignage charmant et douloureux de son âge. Elle conduisit à un grand bal chez un Américain le personnage important de cette histoire, Mlle Amicie. — Elle n’aura jamais la beauté de sa mère, voilà ce que répétèrent plusieurs contemporaines de la baronne, mues par des sentimens compliqués de justice et de jalousie; mais sans avoir l’éclat victorieux qu’offrait jadis à l’admiration du monde celle dont elle attestait le déclin, Amicie possédait la grâce par excellence : elle faisait rêver, elle faisait sourire; c’était une vraie matinée de printemps. Quoiqu’elle n’eût pas une taille élevée, elle paraissait grande, car ses formes étaient élancées et délicates. Si elle n’avait pas cette éblouissante chevelure que Rubens aurait désespéré de reproduire, elle avait des cheveux d’un blond attrayant et doux qu’on eût dit naturellement voilés par une couche de poudre fine et légère. Ses joues étaient d’un rose joyeux. De petites dents blanches, éveillées et rieuses coupaient le vermillon de ses lèvres. Ses yeux étaient d’un bleu changeant. On pouvait y mettre tout ce que l’on voulait, de la mélancolie, de la finesse, de la gaieté, même de la profondeur. Le grand charme de son regard était de ne se refuser à aucune interprétation. Voilà l’être que dans ses conseils secrets le ciel avait formé pour donner une grave leçon à plus d’un de ceux peut-être qui liront ce récit.