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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 14.djvu/492

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du Kansas. Le Kansas sera-t-il admis dans l’Union comme état libre ou comme état à esclaves? Voilà la question qui s’agite, qui est passée dans le domaine des délibérations législatives, et qui crée au gouvernement de grands embarras. Il serait assez inutile d’entrer dans cette histoire des dissensions du Kansas, où les coups de revolver ont eu visiblement plus d’effet jusqu’ici que tous les argumens de la raison. On peut cependant apercevoir deux ordres de faits se dégageant de toutes ces luttes obscures. D’un côté, la majorité de la population paraît bien clairement abolitioniste. Toutes les fois qu’elle a pu se prononcer librement, elle n’a point hésité; elle a multiplié les manifestations pour qu’on ne pût pas se méprendre sur ses vœux véritables. D’un autre côté, une convention assez irrégulièrement réunie à Lecompton a voté pour le futur état une constitution qui maintient l’esclavage. Cette constitution, à ce qu’il paraît au premier abord, devait être soumise dans son ensemble au vote populaire, et s’il en eût été ainsi, tout indique qu’elle n’eût point été ratifiée par le peuple; mais on a trouvé moyen d’éluder cette difficulté en ne soumettant au vote qu’une certaine partie de la constitution, et en réservant les clauses qui consacrent l’existence de l’esclavage. Le scrutin ouvert dans ces conditions a donné une majorité favorable à la cause antiabolitioniste. Ce résultat a été d’autant plus facile à obtenir que les partisans de la liberté ne se sont pas présentés au scrutin, ne voulant pas se rendre complices d’un subterfuge qui trompait tous leurs vœux. Quelle a été dans ces conjonctures la conduite du président des États-Unis ? M. Buchanan a accepté comme parfaitement légal tout ce qui s’est fait dans le Kansas, et par un message il a demandé au congrès l’admission du nouvel état dans l’Union avec la constitution de Lecompton. M. Buchanan s’est vraisemblablement laissé guider par la pensée d’en finir avec cette terrible affaire, qui entretient sans cesse l’agitation. Cette pensée pouvait avoir sa valeur; mais elle n’a pas eu un succès complet dans le congrès; elle a trouvé au contraire la plus vive opposition, et le congrès a fini par décider que l’affaire serait renvoyée à un comité spécial, chargé de se livrer à une enquête sur toutes les circonstances qui ont accompagné le vote de la constitution de Lecompton. La politique présidentielle a été assez directement frappée par ce vote. Là n’est point toutefois la partie la plus curieuse de cette singulière affaire, destinée à soulever tous les orages par cela même qu’elle met en jeu toutes les passions. La vérité est que le congrès a été le théâtre d’une scène où l’éloquence parlementaire ne s’est pas seule déployée. Deux représentans, M. Harris de l’Illinois et M. Grow de la Pensylvanie, en sont venus aux mains, et presque tous les membres du congrès ont fini par se mêler à la querelle. Le tumulte s’est apaisé pourtant sans qu’il y ait eu effusion de sang, et il reste à savoir aujourd’hui ce que va devenir la constitution de Lecompton. En d’autres termes, l’Union américaine comptera-t-elle un état à esclaves de plus? On le voit, c’est toujours cette terrible question de l’esclavage qui pèse sur les États-Unis, qui est une cause incessante de déchiremens, et qui est sans doute le plus sérieux danger de l’avenir.

Si le monde est agité par bien des mouvemens intérieurs qui s’expriment dans la politique par des événemens, des conflits et des troubles singuliers, il est aussi remué par ces inquiétudes de la pensée qui cherche sans cesse