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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 14.djvu/496

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tesse mélancolique les iiiccars polies et chevaleresques. Les Maures de Tunis descendent en effet de ceux qui, établis par la conquête en Sicile et en Andalousie, furent rejetés en Afrique après une résistance plus ou moins longue. Plus civilisé que l’Arabe nomade, l’habitant de l’ancienne Mauritanie aime les fleurs et les parfums, la musique et la poésie, les récits merveilleux, tout ce qui plaît au cœur et séduit l’imagination. Il recherche la rêverie et le bien-être; il se complaît dans le sentiment de sa dignité, mais il a l’instinct de la politesse envers ses égaux et de la déférence envers ses supérieurs. En général, le Maure n’est pas sujet à ces élans terribles de haine et de colère qui transportent l’Arabe et trahissent chez ce dernier comme un reste de nature sauvage. L’habitant du désert, frugal, paresseux et vivant de peu, ne se montre pas, comme le Maure des villes, sensible à tous les raffinemens de la vie sédentaire. Libre et heureux dans sa pauvreté, il se conserve pur de tout mélange avec les races étrangères; on le reconnaît dans les rues de Tunis à la couleur brune de sa peau, à l’ovale régulier de son visage, aux formes un peu grêles de son corps musculeux et svelte, à la noblesse de sa démarche et à la finesse de ses traits. Tel est partout le Bédouin, qu’il se rencontre à Tunis, au Maroc ou dans l’Algérie. Le Maure, au contraire, a le teint presque blanc, et il est sujet à prendre de l’embonpoint. Le type primitif ne pouvait manquer de s’altérer parmi cette population formée de tant d’élémens divers. D’une part, les renégats grecs, italiens, espagnols, français, qui se fixèrent autrefois dans la régence, y apportèrent toutes les variétés de la race européenne; de l’autre, les Turcs et les Koulouglis y ont laissé les traces du type asiatique. Enfin, pendant des siècles, les Tunisiens enlevèrent des femmes sur tous les rivages de la Méditerranée et achetèrent aux bazars de Constantinople des Circassiennes et des Géorgiennes.

Il est donc assez difficile désormais de retrouver dans le Maure de Tunis la véritable physionomie du Maugrebin d’autrefois. De ce mélange avec les nations étrangères lui vient sans doute aussi son aptitude à apprécier la civilisation européenne. La sociabilité se développe tôt ou tard chez les peuples qui n’ont point l’orgueilleuse prétention de s’isoler du reste du monde. Par suite du contact fréquent avec d’autres nations, s’établissent des rapports de bienveillance; les préjugés s’effacent peu à peu, et s’il reste encore des préventions, le temps finit par en triompher. De quel œil par exemple les Maures de Tunis virent-ils, il y a deux ans, les premiers frères de la doctrine chrétienne traverser, avec leurs longues robes noires, les places publiques de la cité musulmane? Peut-être froncèrent-ils le sourcil, peut-être blâmèrent-ils la tolérance du bey, qui permettait aux chrétiens d’établir leurs écoles si près des mosquées. Aujourd’hui ils reconnaissent le bienfait de cette institution charitable. Trois cents enfans appartenant à des familles catholiques de toutes les nations, et qui végétaient dans l’ignorance et dans l’oisiveté, apprennent à lire, à écrire, à compter, à dessiner. Soumis à la discipline de l’étude, ces jeunes garçons ne tarderont pas à donner aux Tunisiens une meilleure idée des nations européennes, et la population indigène pourra envier aux étrangers de si utiles institutions. Les jeunes filles trouvent des institutrices zélées dans les sœurs de Saint-Vincent-de-Paul, qui se partagent avec une égale sollicitude entre l’enseignement du premier âge et le soin des malades recueillis dans leur hôpital. Une troisième école