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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 14.djvu/530

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Elles racontent que le monde est sorti de la carapace d’une tortue, que les premiers hommes sont nés du sein des montagnes, ou qu’ils sont descendus des hauteurs du firmament sur la pente de l’arc-en-ciel : ici c’est un enfant qui prend dans un piège les rayons du soleil, afin de s’en servir pour faire fondre les neiges ; ailleurs, c’est le globe terrestre qui est reconstruit, après le déluge, avec de l’argile pétrie par un castor. Qui pourrait deviner de telles énigmes ? Vouloir les assortir pour en former une histoire suivie, ne serait-ce pas entreprendre de tresser des grains de sable pour en faire un cordage ? Néanmoins, au milieu de cette incohérence, ce qu’on peut remarquer, c’est l’idée confuse d’une ère antérieure à l’existence des hommes, et pendant laquelle des quadrupèdes d’une grandeur colossale, d’énormes reptiles, des génies malfaisans, des géans prodigieux se disputaient la surface de la terre. N’est-ce pas d’après des réminiscences pareilles que les anciens poètes décrivaient les ravages du serpent Python et les combats que les monstrueux Cottus, Briarée, Gigès soutinrent contre les Titans, encore plus monstrueux ? Et ces vagues révélations n’acquièrent-elles pas aujourd’hui plus d’intérêt en présence de ces ossemens énormes que nos géologues exhument dans les diverses parties du globe ? Plusieurs légendes qui racontent le déluge ont de frappantes analogies avec les récits de la Genèse. Elles dépeignent des nations entières périssant au milieu de l’inondation, — quelques hommes se réfugiant dans des canots d’écorce et ne parvenant pas à se sauver, parce que des castors s’attachent aux flancs des bateaux, les rongent et ouvrent ainsi des voies aux flots destructeurs, — enfin un seul de ces esquifs échappant au désastre et conservant une seule famille humaine.

Selon une allégorie consignée dans les archives de l’intendance de Saint-Louis, les Indiens des États-Unis ont émigré d’une contrée où ils se nourrissaient de poisson, et après une longue existence nomade, ils sont arrivés dans un pays où ils ont vécu de la chasse. Les Osages, qui forment une tribu considérable, croient en effet que le premier homme de leur race naquit et vécut quelque temps dans le sein d’une coquille marine, qu’il en sortit ensuite et erra de longues années sur le rivage de la mer. Le grand-esprit lui apparut ; il lui donna d’abord un arc avec des flèches pour aller à la chasse, puis le feu pour faire cuire le gibier, enfin il lui apprit à se faire des vêtemens avec la dépouille des animaux. C’est un castor qui se chargea de lui enseigner l’art de construire les habitations ; il lui fit même épouser une de ses filles, et de cette union sortit la tribu des Osages. Voilà pourquoi un Osage se croirait coupable de parricide s’il tuait un castor, c’est-à-dire un des auteurs de sa race. Cette légende se retrouve avec quelques variantes chez les autres tribus, et prend ainsi le caractère d’une tradition nationale.

Les Chickaws racontent les courses vagabondes que firent leurs ancêtres avant d’arriver sur les bords du Mississipi ; ils leur donnent un chien merveilleux pour les protéger, et un pieu plus miraculeux encore pour les guider. Les Chepeweyans ajoutent des particularités remarquables : ils font partir leurs ancêtres d’un pays toujours couvert de glaces et de neiges ; ils les dépeignent exténués de faim et de froid, et les font voyager à travers de vastes marais parsemés d’îles et de sables mouvans. Les Algonquins conservent encore mieux le souvenir des lieux inhabitables d’où sortirent leurs