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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 14.djvu/533

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l’archipel des îles Aléoutiennes, qui sont rangées les unes à la suite des autres, et si rapprochées qu’elles semblent former une chaussée continue.

D’un autre côté, la péninsule sibérienne est si stérile et si froide qu’elle est presque inhabitable. Les rares peuplades qui ont pu s’y établir sont réduites à se nourrir de poisson et à s’enfouir dans des antres. Quoi d’étonnant que, vers le XIe siècle, quelques hordes chassées de ces régions polaires par une agression ou quelque fléau subit, par la famine et l’espoir d’un climat meilleur, se soient hasardées à passer le petit bras de mer, qui les séparait de l’Amérique, ou bien à parcourir cette rangée d’îles qui semble joindre le prolongement du Kamtchatka avec la presqu’île d’Aliaska ? Arrivée sur le rivage américain, cette population dut se laisser attirer par la chaleur croissante du soleil le long de cet océan si justement appelé Pacifique. Mille indices prouvent que les choses se sont ainsi passées. Le fétiche que portait le premier guide avait la forme d’un poisson. L’ancien séjour de leurs ancêtres est constamment désigné sous le nom de pays des cavernes ; le nom de l’envoyé céleste qui les en fit sortir est Quetzalcoatl, et la terminaison atl est une articulation fréquente dans les idiomes du Kamtchatka. Beaucoup d’autres analogies se remarquent entre ces dialectes et ceux des Indiens d’Amérique. Des rapports encore plus frappans sont observés dans les superstitions des deux peuples.

Le directeur de l’observatoire nautique de Washington, M. Maury, a fait, il y a quelque temps, un rapport sur la facilité qu’ont les peuplades sauvages de passer d’un continent à l’autre, soit par le détroit de Behring, soit en suivant la chaîne des îles Aléoutiennes. Pourvu qu’on ait des vivres suffisans, on peut dans ces parages tranquilles naviguer sur un simple tronc d’arbre. Les îles sont fort nombreuses et voisines des côtes. La plupart d’entre elles sont défendues par des bancs de corail, qui forment à l’entour des enceintes continues, comme font les remparts autour des places de guerre. Les insulaires y prennent aisément du poisson, et telle est leur habitude de naviguer, que, pour se transporter d’un vallon dans un autre de la même île, ils aiment mieux voguer le long du rivage que de franchir les montagnes intermédiaires. À mesure qu’on s’éloigne du nord, les facilités de ces traversées augmentent, et les indigènes semblent y trouver plus d’attraits. Une perche leur sert de gouvernail ; une branche d’arbre garnie de ses rameaux et de son feuillage, est dressée en l’air pour servir de voile. L’équipage, qui se compose ordinairement d’un homme avec sa femme et ses enfans, saisit le moment où le vent souffle vers le but qu’ils veulent atteindre, et les voilà cinglant sans crainte en pleine mer avec une vitesse de 7 ou 8 kilomètres à l’heure. Il est rare qu’ils arrivent sans contre-temps à leur destination ; mais s’il survient un orage, ils vont dans une crique attendre la marée prochaine ou les brises régulières que le lever ou le coucher du soleil ne manque pas de faire souffler chaque jour. Vues d’une certaine distance, les îles Aléoutiennes semblent des piles de pont qui n’attendent que leur entablement pour réunir ensemble les deux continens. Le capitaine Bay, qui commandait, il y a environ deux ans, un vaisseau baleinier dans ces parages, a vu des indigènes naviguer sur leurs canots d’un continent à l’autre. C’est encore un fait constaté que des marins japonais ont été entraînés par des courans