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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 14.djvu/54

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moins de 11,566 kilomètres, c’est-à-dire plus du quart de la circonférence du globe terrestre. Enfin, en cent trente-cinq heures consécutives, il fait 3,089 kilomètres, ce qui lui donne par heure une moyenne de près de 23 kilomètres. Mais voici un autre exemple plus remarquable encore, et peut-être même le plus remarquable que l’on puisse citer, celui du Flying Cloud, qui, dans une traversée des États-Unis en Californie, atteignait pendant vingt-quatre heures consécutives la vitesse de 28,86 kilomètres (15,6 nœuds)[1], ce qui lui donnait pour cette journée sans précédens dans les annales de la navigation un parcours de 374 milles marins ou 692,65 kilomètres !

Quelle modification cette rapidité inconnue introduisait-elle dans la solution économique du problème ? Quel chiffre pouvaient atteindre les bénéfices ainsi obtenus ? Pour en donner une idée, je ne prendrai pas les cas exceptionnels que je viens de citer, mais un clipper de tonnage moyen et de vitesse ordinaire. Le Kate Hooper par exemple, que je vis à San Francisco en 1854, réunissait ces conditions : il n’était que de 1,400 tonneaux, et la plus belle journée qu’il pût citer était de 310 milles marins, c’est-à-dire de près de 13 nœuds à l’heure. Or il n’avait encore fait à cette époque que trois voyages, l’un de Boston à Liverpool, l’autre de Liverpool à New-York, et le dernier de New-York à San-Francisco, et en moins d’un an des 80,000 dollars qu’avait coûté sa construction, 40,000 avaient déjà été remboursés aux armateurs par ces trois voyages !

De semblables résultats justifient pleinement l’ardeur avec laquelle les Américains se sont lancés dans cette voie, ardeur telle qu’aujourd’hui leur marine de long cours n’est presque uniquement composée que de ces clippers. Ce peuple essentiellement pratique a compris que les progrès de la navigation à vapeur, si rapides qu’ils fussent, n’auraient nullement pour effet de faire abandonner la voile, mais au contraire de perfectionner les trajets de mer, quel qu’en fût le moteur, par l’influence d’une concurrence salutaire. Ce qui a lieu sur l’Océan n’est pas sans analogie avec ce que nous voyons sur terre, où la création des chemins de fer n’a nullement tué la navigation intérieure des canaux par exemple ; chaque mode de transport continue à s’opérer dans les conditions économiques qui lui sont propres, et le seul résultat est d’augmenter le mouvement général de la circulation[2]. Posons nettement les faits : dans

  1. La vitesse des trains de marchandises sur nos chemins de fer est de 26 kilomètres à l’heure.
  2. La lutte des chemins de fer et des canaux formerait dans l’histoire industrielle de notre temps un chapitre aussi intéressant que fécond en enseignemens économiques. Au point de vue qui nous occupe, cette lutte présente avec la rivalité de la voile et de la vapeur sur mer un point de ressemblance qu’il importe de signaler. De même que l’ap-