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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 14.djvu/57

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geant la traversée par la puissance de ses moteurs, au point de ne mettre que trente-six jours d’Angleterre en Australie : c’est là une spéculation que les frais considérables de ces moteurs rendraient illusoire, si on l’appliquait à des marchandises ; or, répétons-le, les passagers, émigrans ou autres, ne formeront jamais qu’une fraction restreinte d’un grand mouvement maritime. La moitié de ce tonnage prodigieux est d’ailleurs à elle seule employée par le combustible. Enfin qu’on n’oublie pas que ce colosse aura coûté 15 millions, ce qui, avec l’intérêt de cette somme pendant le temps de la construction, portera à 18 millions de francs le total des dépenses ; ces frais sont complètement couverts par un clipper en moins de deux ans : en sera-t-il de même ici ? Nous ne croyons pas que l’importance actuelle de l’émigration australienne permette de l’affirmer.

Il est impossible, en parlant du Leviathan, de ne pas rappeler que c’est à un ingénieur d’origine française, M. Brunel, qu’en est due la conception. Sans reproduire ici le détail si souvent donné de ses principales dimensions, nous nous bornerons à dire que ce géant des mers n’a pas moins de 204 mètres de longueur, ce qui ne fait par exemple que 30 mètres de moins que le Pont-Neuf. Les 30,000 plaques qui forment sa carène, entièrement construite en fer, sont réunies entre elles par des rivets d’un pouce de diamètre, au nombre de trois millions ! Enfin deux machines, l’une à aube, l’autre à hélice, doivent lui assurer une vitesse constante de 28 kilomètres à l’heure, et les roues mises en mouvement par la première de ces machines auront près de 56 mètres de circonférence, c’est-à-dire un diamètre égal à la hauteur de façade des maisons les plus élevées de nos boulevards !

Les considérations qui viennent d’être exposées sur l’avenir réservé à la marine à voiles, et sur son importance trop méconnue, vont nous permettre de mieux apprécier, par l’étude des résultats, l’immense portée commerciale de l’entreprise de Maury. On sait déjà que ces résultats consistent à abréger les traversées en traçant pour chacune d’elles la route sur laquelle les chances de bons vents sont le plus considérables, et nous avons dit que les routes ainsi obtenues, d’après l’expérience de milliers de navigateurs, s’appuyaient sur la masse d’observations la plus imposante qui eût jamais été réunie. Aucune d’elles ne démentit les espérances de l’inventeur ; sur toutes les grandes voies maritimes, la durée des voyages fut diminuée, et les divers centres commerciaux des deux hémisphères furent rapprochés les uns des autres aussi effectivement que si l’on avait diminué les distances qui les séparent.

La première étude de ce genre faite par Maury avait eu pour objet la route des États-Unis à l’Équateur, route d’autant plus impor-