Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 14.djvu/574

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

était passionnée, et toute rivalité lui était insupportable. Pour elle, Ada (c’était le nom de la favorite du jour) n’était pas une pauvre fille appelée presque malgré elle à une dignité qu’elle n’avait pas recherchée et qu’elle acceptait sans empressement, tant il était évident qu’elle ne la garderait pas de longs jours ; c’était une rivale et rien de plus ni de moins, une rivale, et par conséquent une ennemie dont il fallait à tout prix non-seulement triompher, mais tirer vengeance.

C’est dans ce sens qu’elle parla à Maléka, espérant faire de sa compagne une alliée et une complice.

— L’offense nous est commune, lui dit-elle un soir, unissons nos ressentimens pour parvenir plus sûrement à les satisfaire.

— Eh ! quelle satisfaction pouvons nous espérer, chère Zobeïdeh ? répondit Maléka. Ada plaît à Osman-Bey ; elle jouit maintenant de sa faveur sans en paraître enivrée. Osman peut la laisser un jour retomber dans la triste et obscure condition d’où il vient de la tirer. Est-ce là ce que tu appelles notre vengeance ? Après celle-ci, le bey en prendra d’autres, et peut-être perdrons-nous au change ?

— Que peut-il nous arriver de pire que d’avoir des rivales ? répliqua Zobeïdeh avec emportement. Nous en avons une aujourd’hui, commençons par nous en défaire ; plus tard, si une autre, lui succède, nous emploierons les mêmes moyens, ou nous en trouverons d’autres.

L’entretien ainsi commencé se poursuivit avec vivacité. Quelques questions de Maléka alarmée amenèrent Zobeïdeh à s’expliquer sans réticence. Il ne manque pas en Orient de femmes sachant composer des drogues funestes, des poisons en un mot. C’est à une de ces femmes-là qu’il fallait s’adresser. Tel était le plan de Zobeïdeh ; mais à peine avait-elle parlé de mort et de poison, qu’elle avait été interrompue par les supplications de la douce et timide Maléka. Ces prières, ces représentations, faites tour à tour au nom de la morale, de la prudence, de la pitié, eussent ébranlé une femme moins passionnée que Zobeïdeh. — C’est bien, se contenta-t-elle de répondre froidement, je vois que tu n’es pas de force à me seconder, supporte les outrages dont on t’accable sans en tirer vengeance. Pour moi, je marcherai seule dans la voie qui me convient.

La conversation en resta là ; mais après s’être ainsi démasquée devant Maléka, Zobeïdeh devait mettre une sorte de cruel amour-propre à exécuter seule l’horrible plan dont elle lui avait dit quelques mots. Dès ce jour, l’orgueil s’unit à la jalousie pour la pousser au crime.

Il y avait parmi les esclaves de Zobeïdeh une femme d’origine grecque, assez âgée déjà pour avoir connu beaucoup de harems, et qui avait raconté à Zobeïdeh plus d’une tragique histoire où sa vie