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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 14.djvu/579

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compatriote, mais en faisant entendre que pour vaincre certains scrupules faciles à prévoir rien ne valait le tout-puissant métal. Un collier de perles, donné par le bey à Zobeïdeh, représentait heureusement une somme assez forte pour endormir la conscience de la Grecque et de l’esclave. Cette fois la négociation fut vivement conduite, le danger était trop grave et trop pressant pour permettre de longs pourparlers. Zobeïdeh livra le collier, dont la Grecque abandonna à l’esclave une douzaine de grains, et reçut en échange une petite fiole contenant quelques gouttes d’une liqueur rougeâtre, qu’il fallait verser dans le verre d’Ada.

La saison était chaude et la favorite avait l’habitude de boire, à diverses reprises dans la journée, de la limonade glacée. Trois jours après l’entrevue avec la Grecque, Zobeïdeh, qui, en sa qualité de première épouse, avait les clés de l’office, crut le moment venu d’en finir. Elle ne négligea aucune précaution : une esclave qui portait à Ada le verre de limonade fut écartée, parce que Zobeïdeh prétendait avoir entendu crier son enfant, l’héritier présomptif. À peine l’esclave était-elle sortie que le poison fut versé, et Zobeïdeh, se précipitant derrière elle, arriva presque en même temps dans la chambre de son enfant, qui s’était mis à pousser des cris aigus, comme pour servir les desseins de sa mère. L’esclave, congédiée, retourna à la limonade, qu’elle porta cette fois à la favorite. Zobeïdeh prit l’enfant dans ses bras et rentra dans la salle où se tenait Ada, qui venait de boire quelques gorgées de la fatale liqueur. L’enfant n’eut pas plus tôt aperçu le verre encore à moitié rempli, qu’il demanda à boire aussi. Une scène étrange se passa en ce moment. Ada, se plaignant du goût acre et désagréable de la limonade, avait donné ordre de reprendre le verre ; mais l’enfant avait rappelé l’esclave qui l’emportait, et il aurait partagé le sort d’Ada sans un mouvement de Zobeïdeh, qui, sous prétexte de contenter les désirs de son fils, le devança, et, tout en feignant de porter à l’enfant la boisson désirée, se laissa tomber, et brisa dans sa chute le verre qui la contenait. Zobeïdeh se blessa au bras et au côté. Ada était au même instant prise de frissons provoqués par le funeste breuvage. — Nous ferons bien de nous retirer et de prendre quelque repos, dit Zobeïdeh d’une voix languissante. Elle eut le courage d’embrasser la mourante, mais elle se sentait trop faible pour assister à la terrible scène qu’elle prévoyait, et quelques minutes plus tard la Circassienne attendait seule dans sa chambre qu’on vînt lui annoncer la mort de sa victime.

Les harems sont disposés pour la vie en commun. Les chambres se touchent, et le plus souvent même des communications s’établissent sans peine entre les habitantes des cellules plus ou moins nombreuses qui se groupent dans le même palais. Le nombre de