Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 14.djvu/658

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

triomphe. Un certain Alexandre Ross, qui par la suite devait encore descendre dans l’arène pour soutenir contre Browne la cause des erreurs vulgaires, ne tarda pas à lui répondre par son Medicus medicatus, ou la Religion d’un médecin guérie par une potion lénitive. Un fait à noter, c’est que ce champion des absurdités les plus flagrantes, ce même Ross dont la crédulité universaliste ouvrait les bras à toutes les vieilles fables, s’attaque à la Religion d’un médecin parce qu’il la trouve trop peu exclusive, trop complaisante pour les papistes, l’astrologie judiciaire et autres hérésies. Un plus illustre personnage, le très docte et très chimérique sir Kenelm Digby, « de l’école admirable des Schott, des Kircher, des Gaffarel et des Borelli » (c’est Disraeli le père qui le caractérise ainsi), écrivit en une seule séance et au fond d’une prison, où il avait été jeté pour cause politique, ses Observations sur la Religio medici. C’est le même chevalier Digby qui fut reçu dans l’intimité de Descartes, et qui fit bruit en France par sa poudre de sympathie, dont une pincée, dissoute dans un bassin d’eau, avait soulagé la main blessée de James Howell à l’instant même où sa jarretière tachée de sang touchait la solution magique. C’est lui encore qui s’était tellement épris de la beauté de sa jeune femme, qu’il la tua, dit-on, en imaginant de lui faire manger constamment des volailles nourries de serpens pour lui assurer une jeunesse sans fin. Le chevalier Digby, à vrai dire, n’est pas uniquement un contradicteur. S’il est souvent en désaccord avec Browne, il lui témoigne aussi du respect et lui donne parfois sa pleine approbation. « L’auteur me plaît infiniment, lit-on dans ses Observations, quand il déclare qu’en religion il n’y a pas assez d’impossibilités pour une foi active. » Digby était catholique, et il est vraisemblable, ainsi que le remarque le docteur Fortin, qu’il avait cru reconnaître dans cette déclaration et dans plus d’un autre passage des tendances favorables à son église. Il semble du reste que Browne, avec son esprit original et sa large bienveillance, ait été destiné à se voir renié et revendiqué par toutes les communions. À Paris, il avait été recommandé comme un esprit tellement gagné à l’orthodoxie romaine, qu’il ne méritait pas même le nom d’hérétique, et que sans doute la crainte des persécutions l’empêchait seule d’abjurer le protestantisme. À Rome, son livre fut mis à l’index. À Norwich, un quaker du nom de Duncon lui écrivit une lettre fort obligeante où perçait l’espoir de l’attirer à la société des amis. « En Allemagne, écrit le docteur Aikin, il fut accueilli par de sévères censures, et les théologiens, more theologico, le dénoncèrent comme un incrédule et même un athée, quoique chacune de ses pages attestât la ferveur de sa piété et la docilité de sa foi. » De telles aberrations font tristement sentir à quel point la masse des hommes, même