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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 14.djvu/686

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reparaissent là dans une pénombre où elles se dessinent assez pour que nous puissions faire connaissance avec elles, et où leurs formes flottantes acquièrent le prestige d’une évocation fantasmagorique. Si nous les rencontrions dans leur personne vivante et avec la foi qu’elles avaient en elles-mêmes, nous serions seulement choqués par leur impertinence ; si elles nous étaient décrites par un incrédule, mille lambeaux de notions étrangères défigureraient leur physionomie dans ses descriptions. Chez Browne, ce sont bien leurs véritables esprits qui reviennent, leurs esprits humiliés, comme il convient à des morts, et pour nous c’est une fête pleine de surprise, c’est en même temps une émotion constante d’imagination, que de deviner ce qu’elles nous cachent et de reconstruire leur relief, de nous perdre en étonnemens sur leur origine, et d’entrevoir entre leurs fantômes le fantôme du monde moral où vivaient nos pères.

Je le répéterai toutefois, la plupart de ces erreurs sont plutôt, je l’ai dit, des pensées qui se trouvent dans l’esprit de Browne que des pensées à lui, et en définitive, si l’on considère tout le terrain qu’il a lui-même arraché aux hypothèses fabuleuses, si l’on remarque dans quels cas il affirme et dans quels cas il se borne à conjecturer, ou à user, faute de mieux, d’une ancienne conjecture, la partie scientifique de la Pseudodoxia ne peut laisser qu’une impression, celle d’une œuvre éminemment judicieuse. L’auteur, tel qu’il s’y montre, n’a pas le génie créateur de la science : il voit trop en détail ; il n’est pas non plus un esprit sûr, car il est trop peu maître de ses préoccupations ; mais, chose très frappante, c’est seulement du côté des idées qu’il est facile à surprendre et à demi crédule, ou plutôt qu’il hésite à dire non. Du côté des faits, il est tout autre. Il faut qu’il ait vu de ses yeux pour qu’il se décide à croire, et il emploie courageusement son temps et toutes ses facultés à tâcher de bien voir. Il est bon physicien ; en chimie, il a signalé le premier l’adipocire, qui fut trouvée plus tard dans le charnier des Innocens ; il a des connaissances étendues dans toutes les branches de l’histoire naturelle ; le scalpel en main, il a poussé fort loin dans l’étude de l’anatomie comparée et de la physiologie végétale. Il a enfin une nature heureuse pour qui les erreurs de théorie deviennent inoffensives et n’entraînent point d’erreurs pratiques. Quoiqu’il caresse l’idée alchimique des semences, il est remarquablement dégagé de l’alchimie proprement dite, et il a même deviné que la pierre bleue de vitriol pouvait bien être de la nature du cuivre. Quoiqu’il n’ose affirmer que l’astrologie soit entièrement mensongère, la même prudence qui l’empêche de la nier en général l’empêche encore davantage de souscrire en particulier à ses diverses décisions. Qu’il se trouve en face de telle ou telle assertion spéciale, et par exemple du préjugé sur les