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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 14.djvu/786

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toute dévouée au culte de l’art, cette association de la poésie, de la peinture et de la musique, ces soirées enivrantes, autant de moyens dont se servait la comtesse d’Ahlefeldt pour occuper l’imagination d’Immermann, pour épurer la fougue de son cœur. Ce devaient être chaque jour des distractions nouvelles, tantôt de nobles hôtes, écrivains ou artistes, attirés à Düusseldorf par l’éclat du mouvement littéraire, tantôt des épisodes inattendus, dont une fée invisible savait tirer parti. Au premier rang, parmi ces hôtes, nous devons citer un poète qui a laissé d’honorables souvenirs, l’auteur de Struensée et du Paria, M. Michel Béer, frère du grand compositeur dramatique à qui l’on doit Robert le Diable et les Huguenots. Michel Beer venait souvent à Dùsseldorf, attiré par la grâce de Mme d’Ahlefeldt et sa sympathie pour Immermann. « J’éprouve encore, dit Immermann, une émotion pieuse en me rappelant les semaines que nous avons passées ensemble. C’étaient entre nous des plans, des projets littéraires de toute sorte, et nos entretiens se prolongeaient toujours bien avant dans la nuit. Il avait beaucoup vu, il savait infiniment de choses, ayant visité presque toutes les capitales de l’Europe. Sa fortune, son habitude du monde, cet art de plaire qu’il possédait si bien, lui donnaient accès partout. Il avait ainsi maintes anecdotes à raconter, maintes vues à ouvrir sur le monde, et il prenait plaisir à m’en récréer dans ma cellule de cénobite. Sa correspondance, que ses héritiers ont publiée, renferme toute une part de notre vie. » Cette correspondance en effet est de l’intérêt le plus vif. Je ne la comparerai pas, comme M. Adolphe Stahr, à la correspondance de Goethe et de Schiller ; je ne crois pas cependant qu’on puisse la lire sans estimer davantage les deux amis. Elles sont rares ces amitiés de poète à poète, amitiés viriles, loyales, sans camaraderie bruyante, sans jalousie secrète. En France Boileau et Racine, en Allemagne Schiller et Goethe en ont donné l’exemple. Ces grands noms à coup sûr font pâlir ceux de Charles Immermann et de Michel Béer, et c’est surtout entre les génies supérieurs que l’amitié, étant plus difficile, est aussi plus méritoire ; qu’importe ? Cet épisode n’en est pas moins un titre pour le cénobite de Düsseldorf et pour celui qui venait le visiter dans sa cellule. « Notre amitié, dit Immermann, était fondée sur une entière sympathie d’études, sur une même ardeur à produire le beau et à nous perfectionner mutuellement. Nous avions besoin de nous communiquer toutes nos inspirations. Jamais aucune flatterie n’a dégradé cette union de nos âmes. » Immermann ne goûta pas longtemps ces pures jouissances. Michel Beer mourut, jeune encore, en 1833. Il a laissê deux drames remarquables, Struensée et surtout le Paria, dont Goethe a fait l’éloge.

Un autre épisode intéressant dans la vie d’Immermann à Düsseldorf,