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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 14.djvu/82

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REVUE DES DEUX MONDES.

lonté les dévoue aux bêtes féroces, dont ils doivent être la pâture quand ils auront succombé aux horreurs de la faim. » Les proscrits passèrent vingt-quatre heures dans la montagne, exposés au froid et manquant de tout. Quelques-uns moururent dans les angoisses du désespoir. Les autres attendaient le même sort ; mais Ali, se trouvant assez vengé, fit vendre ce qui restait des habitans de Gardiki. Il ordonna en même temps la destruction de la ville, et défendit qu’on élevât aucune construction sur ce terrain.

La part que prit Yaïas au massacre des Gardikiotes lui valut la confiance du vizir. Il devint son favori, eut le commandement général de ses troupes, et en tout temps, en tout lieu, un libre accès auprès de sa personne. Cependant la maîn du ciel finit par s’appesantir sur Yaïas. Un ami de M. Valaoritis lui a raconté qu’une fin misérable fut le châtiment mérité du digne ami d’Ali-Pacha. Une tradition répandue en Épire porte à croire que sa femme elle-même n’échappa point à ces retours de la fortune si communs dans l’Europe orientale. L’auteur des Mvvî(xoG-uva s’est emparé de cette tradidition, qui lui a inspiré le poème intitulé Athanasi Vaïas, que nous citerons tout entier.


I. — LA MENDIANTE.

« Charité, chrétiens, faites la charité[1] ! que Dieu vous en récompense en amour et en consolations ! Faites la charité à une veuve délaissée !

« Ainsi une pauvre femme criait à la porte d’une autre aussi pauvre qu’elle.

« La nuit, les éclairs, le tonnerre, la neige m’empêchent d’avancer dans mon chemin. Chrétiens, faites la charité ! ouvrez-moi, je me meurs… Moi aussi j’adore un Dieu. Ouvrez-moi, chrétiens, j’ai appris à jeûner, et je ne demande pas votre pain, je ne veux pas vous en priver. Le pauvre a pitié du pauvre. Sauvez-moi de la mort. J’aurai assez d’un peu de feu ; j’aurai assez de cette petite lampe que tous les soirs vous allumez devant la mère de Dieu, devant la Vierge… Charité ! de la lumière !… Secourez-moi,… je me meurs…


« L’ENFANT. — Ma mère, éveille-toi. N’entends-tu pas ? On frappe à notre porte.

« LA MERE. — Le vent fouette les branches des arbres, et le bois en gémit.

« L’ENFANT. — J’ai peur, ma mère ; mon cœur fuit, s’envole comme un petit oiseau.

« LA MERE. — Ce sont des chiens qui hurlent. Cache-toi dans mon sein.

« L’ENFANT. — J’ai entendu des pleurs et des cris.

« LA MERE. — Tu as rêvé, mon enfant ; tourne-toi de mon côté, signe-toi et dors.

  1. Ἐλεημοσύνη, χριστιανοὶ, ϰάμετ’ ἐλεημοσύνη (Eleêmosunê, christiani, kamet’ eleêmosunê). C’est le cri ordinaire des mendians grecs.