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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 14.djvu/837

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précieux. Il nous est doux de pouvoir affirmer que la traite n’est plus possible au Brésil.


Nous avons terminé la tâche que nous nous étions imposée en essayant de faire connaître l’état actuel de l’empire du Brésil. Cherchons, en finissant, à résumer les réflexions que cet état si prospère doit inspirer.

On a vu que le Brésil était passé du régime colonial à l’indépendance sans secousse et presque sans difficultés sérieuses. L’indépendance existait déjà en réalité ; il ne lui manquait que la sanction du droit. L’élément monarchique était accepté d’avance par tout le monde : il n’y a donc eu de changement que dans les institutions politiques, et ces institutions mêmes, octroyées par le premier empereur, étaient parfaitement conformes aux mœurs, aux besoins et aux désirs de son peuple. Quant aux lois civiles, commerciales, criminelles et administratives, ce n’est qu’avec le temps et les progrès du pays qu’elles ont subi certaines réformes, introduites successivement, au moment convenable, et après avoir été longuement discutées.

Le résultat de ce système a été de créer sur la terre brésilienne un gouvernement civil qui n’a point d’analogue dans les autres états de l’Amérique du Sud. L’esprit militaire domine dans presque tous ces pays, pendant qu’au Brésil on ne le remarque presque point. L’empire brésilien a pu allier une constitution monarchique avec l’élément fédératif, emprunté à la république de Washington, sans que son unité territoriale en ait reçu aucun dommage, sans que son gouvernement monarchique ait perdu la moindre force. Il s’est acquis une physionomie propre, un caractère spécial qui, tout en gardant la trace des traditions portugaises, s’allie avec les nouvelles idées et les progrès de la civilisation. Il a parfois souffert de l’anarchie, mais aucun mouvement révolutionnaire n’a pu y triompher, si l’on excepte celui du 6 avril 1831, qui a provoqué l’abdication de dom Pedro Ier. Aujourd’hui il voit l’ordre s’affermir définitivement, et de nouvelles mœurs, de nouveaux intérêts étouffer tous les germes de troubles.

Si l’état intérieur du Brésil est satisfaisant, au dehors il commence à exercer sur ses voisins une influence pacifique, et son rôle dans l’Amérique méridionale devient chaque jour plus important et mieux apprécié[1]. L’étendue de ses rapports commerciaux fait ressortir

  1. Le 5 décembre 1857, le représentant des États-Unis au Brésil. M. Mead, reçu par l’empereur dom Pedro II, lui adressait un discours où l’on remarque le passage suivant : « Une égale extension de territoire garantit à chacun des deux pays une prépondérance future qui les place au-dessus des appréhensions et leur donne l’importance qu’ils doivent à la connaissance de leur force. La ressemblance qui existe entre eux sous divers rapports est suffisante pour faire naître des sympathies politiques et sociales. Une politique commune à tous deux, qui aura cependant à combattre plusieurs préventions hostiles à l’extérieur, établira sans doute une alliance entre les deux états et leur assurera pour la commune défense une unité d’action et de sentiment invincible. — Je suis touché de cette nouvelle preuve de l’amitié de votre gouvernement, a dit l’empereur. En vous répondant avec une égale expansion, et en reconnaissant les devoirs que sa position parmi les nations de l’Amérique du Sud impose au Brésil, je puis vous assurer que cet empire emploiera toujours son influence légitime pour le bien et la prospérité de ses voisins. » Le contraste entre l’esprit pacifique du Brésil et la politique envahissante des États-Unis ne pouvait être plus finement indiqué.