Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 14.djvu/879

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

études étaient terminées et tous les préparatifs étaient faits. À peine la conclusion du traité de Paris avait-elle rendu à la Russie la liberté de ses mouvemens, que la frontière sibérienne fut brusquement portée jusqu’aux rives de l’Amour, et qu’une moitié de la Mandchourie se trouva enclavée dans les possessions russes. Une forteresse fut créée, sous le nom de Strelotschnaïa, au confluent de l’Argoun et de la Chilka, qui par leur réunion forment l’Amour, et une autre aux bouches mêmes du fleuve, sous le nom de Nicolaïef : des stations de Cosaques furent établies le long du fleuve, et une route militaire fut commencée immédiatement pour les relier entre elles.

Au mois de novembre 1856, la garnison de Nicolaïef entendit pour la première fois résonner les sonnettes de la poste russe, et vit entrer le premier téléga. C’était le général Kagakevitch qui arrivait en tournée d’inspection. Quelques jours après, un bâtiment américain, l’Europa, débarquait à Nicolaïef les machines et les coques démontées de deux petits bateaux à vapeur destinés à naviguer sur le Haut-Amour. Ces deux bateaux furent montés et garnis de leurs machines pendant l’hiver : le plus grand, appelé Amour, est de la force de soixante-dix chevaux ; le second, appelé Lena, est de la force de trente-cinq chevaux et ne tire que trois pieds et demi, ce qui lui permet de remonter l’Amour jusqu’à Strelotschnaïa. En même temps deux autres bateaux à vapeur étaient construits sur la Chilka par les ateliers du gouvernement à Nertchinsk. Dans son voyage d’essai, en juillet 1857, la Lena a transporté des voyageurs et des marchandises de Nicolaïef à Strelotschnaïa en trente jours, avec la certitude de pouvoir réduire à vingt jours la remonte du fleuve dans les voyages suivans. L’Amour ne put d’abord dépasser le confluent de la Zeïa à cause du manque d’eau ; mais la fonte des neiges, en grossissant le fleuve, lui permit de continuer sa route. Les expéditions de ces deux navires ont été extrêmement fructueuses. On n’avait pas perdu de temps en effet pour appeler le commerce à Nicolaïef : ce port a reçu en 1857 des navires venus de Hong-Kong, de San-Francisco et de Hambourg, avec des cargaisons évaluées à deux millions, et un grand nombre de barques japonaises. Toutes les marchandises y sont devenues immédiatement trois fois moins chères qu’à Irkoutsk, et les importateurs, en les dirigeant aussitôt sur la Sibérie orientale, à bord de l’Amour et de la Lena, ont réalisé des bénéfices considérables. Les bateaux à vapeur ont rapporté à la descente de riches cargaisons de fourrures, en sorte que déjà les élémens d’un commerce régulier et lucratif sont acquis. Ainsi, en moins de quatre années, une province a été ajoutée à la Russie, des forteresses ont été bâties, un port créé, la régularité des communications assurée par une route et par un service de bateaux à vapeur, une voie