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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 14.djvu/91

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LA POÉSIE GRECQUE DANS LES ÎLES-IONIENNES.

été naguère les serviles courtisans des pachas faisaient preuve d’une bassesse cupide et d’une lâcheté qui devinrent l’occasion des accusations les plus injustes contre les Hellènes. Habitués à partager avec les Turcs la fortune du pays, ils devinrent, dans les conseils de la Grèce régénérée et dans les assemblées délibérantes, le plus grand obstacle au triomphe des chrétiens. Ils consumèrent en querelles puériles et en intrigues honteuses le temps que les autres employaient à défendre la patrie, et annulèrent par leur égoïsme ou leurs prétentions personnelles les résultats des victoires de l’armée nationale. Les Grecs avaient donc à redouter les dissensions de leurs chefs, la malveillance des princes, surtout celle de l’Autriche, alliée trop active des musulmans, et les efforts de l’islamisme. Cependant à la fin de 1823 ils avaient anéanti six armées ottomanes, brûlé deux flottes, tué deux amiraux et cinq pachas. Lorsque Mahmoud II eut appelé à son secours les forces de l’Afrique mahométane, Miaoulis et Kanaris parvinrent encore à faire avorter la première expédition des Égyptiens. Ce fut alors que les primats, absorbés de plus en plus dans de misérables dissensions, négligèrent la défense des points les plus menacés, et laissèrent les troupes de terre et les marins sans vivres, sans solde et sans munitions. Ces désordres, que les agens de l’Autriche faisaient connaître soigneusement aux musulmans, permirent à Ibrahim-Pacha de débarquer à Modon le 26 février 1825. Dès lors les efforts désespérés de Tsamados, de Mavromichalis, de l’illustre Italien comte de Santa-Rosa[1], de Dimitri Ypsilantis, de Kanaris, des défenseurs de Missolonghi, ne purent arrêter les Égyptiens. La Grèce, comme la France de 1815, était livrée, — elle n’était point vaincue.

À mes yeux, l’enthousiasme que cette lutte gigantesque inspire à M. Valaoritis est donc parfaitement légitime. Je lui sais gré surtout de s’être attaché à louer dignement les hommes intrépides qui, en Épire et en Thessalie, ont su mourir pour une cause dont ils ne devaient jamais voir le triomphe. Les héros de l’insurrection de 1821, les Botzaris et les Kanaris, ont trouvé en Occident, surtout en France, des poètes illustres pour célébrer leurs exploits. Les Lambros Tsavellas, les Dimos, les Euthyme Vlachavas, les Catzantonis avaient été moins heureux. Aujourd’hui ils n’ont rien à envier au magnanime stratarque de la Grèce occidentale qui, semblable à Épaminondas, mourut au sein de la victoire, ni au courageux Ypsariote qui porta le fer et la flamme sur la flotte des sultans.

Tout en vantant les poèmes patriotiques de M. Valaoritis, surtout Athanasi Vaïas, Samuel et Euthyme Vlachavas, les Grecs ont aussi

  1. Voyez, dans la Revue du 1er mars 1840, Santa-Rosa, par M. Victor Cousin.