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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 14.djvu/926

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comme anéantie, lui dit d’une voix faible : — Hélas ! pourquoi me l’avoir caché jusqu’ici ? — Que les femmes sont extraordinaires ! pensa le sensible Osman. Elle regrette les dix ou douze mois de bon temps que ma sollicitude lui a ménagés ! Or c’était précisément la pensée de ces dix où douze mois de tranquillité qui ajoutaient encore à la douleur de Maléka ; elle se les reprochait comme un larcin fait aux regrets que ses enfans avaient le droit d’attendre d’elle. Que faisait-elle pendant que ses bien-aimés se débattaient dans les tortures de l’agonie ? Pourquoi avait-elle consenti à les quitter ? Quel était donc le fléau qui lui avait arraché tous ses trésors ?

Maléka fut plutôt portée que conduite au harem, où elle arriva presque sans vie. Quand Zobeïdeh la vit en cet état, elle fut consternée et redouta quelque crise funeste ; mais lorsqu’Osman l’eut informée qu’il venait seulement de lui apprendre son malheur ; elle cessa de s’étonner, et elle prit soin de la mère infortunée avec toute la tendresse dont elle était capable. Ses soins touchaient Maléka, mais ils la déchiraient en même temps, car elle connaissait trop Zobeïdeh pour ne point la soupçonner ; Zobeïdeh devina ses secrètes pensées. Maléka voyait donc en elle la meurtrière de ses enfans, la meurtrière de Kassiba !… Cette dernière pensée, la certitude d’être tacitement accusée d’une mort dont elle était innocente, lui était mille fois plus douloureuse que le souvenir de tous ses véritables crimes. Elle eût volontiers avoué à Maléka le meurtre des trois autres jeunes victimes pour la convaincre de son innocence envers Kassiba ; mais elle respectait les doutes que Maléka conservait encore, et elle craignait de lui rendre la vie impossible en lui apprenant qu’elle devait la passer tout entière auprès de la meurtrière d’Ismaël et de Dundush. Sous l’influence des tortures intérieures que lui causaient les douloureuses appréhensions de sa compagne et ses propres efforts pour ne laisser échapper ni aveux ni justification, l’affection de Zobeïdeh pour Maléka devint plus vive qu’elle ne l’avait jamais été dans les beaux jours presque oubliés de sa jeunesse et de son innocence en même temps qu’elle fut une nouvelle source de tourmens pour l’étrange créature dont j’ai hâte de terminer l’histoire.

L’époque à laquelle nous sommes arrivés dans cette misérable vie ne nous présente plus, je l’ai dit, ni passions furieuses ni crimes odieux. Accoutumé à son harem d’Asie ; Osman n’ambitionnait plus de longues ni de légitimes amours. Entouré de femmes qui lui appartenaient, dont il pouvait disposer à sa fantaisie, il cacha ses préférences, et ne garda plus ses favorites assez longtemps pour qu’une indiscrétion éclairât Zobeïdeh, et pour que celle-ci pût tramer de nouvelles vengeances. Voilà tout ce que Zobeïdeh obtint. Du reste, il achetait journellement de nouvelles esclaves qu’il revendait presque aussitôt. Il prit aussi l’habitude de passer des jours entiers, et jusqu’à des