Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 14.djvu/948

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Croirons-nous, comme on le prétend, que les sens du crisiaque, somnambule ou extatique, se déplacent réellement ? Croirons-nous qu’il peut parler des langues étrangères, prescrire instinctivement d’efficaces remèdes et enfin prévoir l’avenir ?

Le docteur Pététin déclara en 1787 avoir observé un cataleptique qui voyait, entendait et sentait par le creux de l’estomac et même par le bout des doigts et des orteils. Selon lui, la cause de ces faits était l’électricité animale, accumulée sur certains points du corps. Selon les magnétiseurs, cette cause n’était autre que le magnétisme. Selon la science actuelle, ce n’est ni l’un ni l’autre de ces agens. Bien observé, le phénomène se réduit à un des effets ordinaires de l’union de l’âme et du corps. Un homme absorbé dans ses réflexions n’entend pas votre voix qui l’appelle ; vous le touchez du doigt, il vous entend. Faut-il en conclure que son ouïe a passé dans son bras ? Un malade qui souffre d’un mal local dort, brisé par la fatigue : vous lui parlez, il reste sourd ; mais en lui parlant, effleurez seulement la partie endolorie de son corps, il vous répondra. De même, le cataleptique, chez lequel la crise nerveuse a irrité le plexus solaire et engourdi l’oreille, n’entend que lorsque l’air, mis en mouvement par la voix, a ébranlé le siège ordinaire de ses sensations externes, l’épigastre : communiqué au cerveau, cet ébranlement l’excite, et cette excitation à son tour rend à l’oreille son habileté, à l’esprit sa force attentive. Toutefois ces effets se succèdent avec une telle rapidité, que le siège de la première sensation paraît se confondre avec celui de la dernière. Voilà qui est clair et intelligible, tandis que personne ne comprend que l’estomac ou le gros orteil usurpe et remplisse les fonctions de l’oreille.

Je ne voudrais pas insister trop longtemps sur cette analyse psychologique des crises nerveuses. Quelques mots encore cependant, afin que le lecteur apprécie bien les avantages d’une sage méthode philosophique.

On a toujours fait grand bruit de l’instinct des remèdes et du don particulier de parler des langues étrangères qui se remarquent chez les somnambules et les crisiaques. En ce qui touche l’instinct des remèdes, la crédulité est poussée fort loin ; mais que l’on réduise le fait à ses limites vraies, qu’on en ôte ce qui ne peut s’y rencontrer, c’est-à-dire des connaissances spéciales en pathologie et en thérapeutique, que restera-t-il ? Un instinct naturel de conservation que possèdent les animaux et les sauvages, et qui, inactif ou négligé dans la vie éveillée et normale, se ranime chez le dormeur, le malade, le crisiaque ou le somnambule, pour leur indiquer le point précis de leur corps que le mal menace ou attaque, et leur suggérer par une rapide induction la pensée de quelque facile remède.