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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 14.djvu/991

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grossière que Brigham essaie d’exciter l’enthousiasme de son peuple ; il est plus politique qu’éloquent, et compte plus, pour le succès de sa cause, sur la carabine et le revolver que sur l’accomplissement de ses prophéties. Il dirait volontiers à ses mormons ce que disait Cromwell à ses soldats : « Ayez confiance en Dieu, et tenez votre poudre sèche. » Aussi les dernières nouvelles d’Utah nous montrent-elles les mormons occupés des préparatifs de la guerre sainte, fabriquant de la poudre et des revolvers, inventant des armes à feu d’un nouveau modèle. Cependant toutes ces précautions seraient probablement impuissantes à les sauver, si la nature ne conspirait pour eux dans ces plaines immenses, dans ces défilés que leurs ennemis ne connaissent pas, et où ils comptent les engager et les détruire en détail. Si ce résultat avait lieu, et il n’a rien d’improbable, la dernière heure du mormonisme aurait sonné, ou Brigham devrait songer à un nouvel exode pour arracher son peuple à la vengeance de l’Union.

L’expédition contre les mormons est sans doute une œuvre fort méritoire. Cependant, puisque les citoyens de l’Union sont en train de demander pardon de leurs péchés à Dieu et cherchent les moyens de faire amende honorable, ils n’ont pas besoin d’aller jusqu’à Utah pour trouver des vices à réformer et des crimes à punir. Les occasions ne leur manquent pas de faire œuvre pie, et de montrer que leur ravivement de foi est autre chose qu’un accès de fièvre dévotieuse. Par exemple, pourquoi les membres du congrès, purifiés par cette nouvelle pentecôte, comme disent certains enthousiastes, ne renonceraient-ils pas à leurs discussions brutales et à leurs batailles à coups de poings ? Pourquoi les planteurs du sud, visités par l’esprit du Seigneur, ne renonceraient-ils pas à l’affreux commerce de la traite qu’ils font effrontément avec Cuba et le Brésil, ainsi que l’ont démontré certains faits récens ? Ni le congrès, ni les états du sud n’ont été encore touchés de la grâce, et la vieille œuvre d’iniquité, le maintien et l’accroissement de l’esclavage, ne cesse de remporter de nouveaux triomphes. Tout récemment encore le sénat a voté un bill qui admet le Kansas au sein de l’Union, et qui reconnaît officiellement pour cet état la constitution de Lecompton, œuvre de fraude et de violence du parti de l’esclavage. Si ce bill n’est pas repoussé par la chambre des représentans, la république comptera un état à esclaves de plus. Le succès n’est pas encore assuré cependant ; un des anciens chefs du défunt parti whig, M. Crittenden, a proposé un amendement par lequel le sénat, en admettant, par respect pour la souveraineté populaire, la constitution de Lecompton, accorde néanmoins au peuple de cet état le droit de déclarer une fois encore s’il entend ou non conserver cette constitution. Cet amendement fort sage permettrait, s’il était adopté, de connaître enfin les vœux véritables de la population sans remettre en question un fait accompli. La proposition de M. Crittenden serait-elle acceptée ? Personne ne doit plus le souhaiter que M. Buchanan, car ce bill a déjà mécontenté le parti qui l’a porté au pouvoir, et s’il est contraint de sanctionner l’admission du Kansas avec la constitution contestée de Lecompton, il perdra l’appui des démocrates du nord et aura brisé pour jamais le parti démocratique, le seul des partis de l’Union qui présente aujourd’hui quelque homogénéité. ch. de mazade.