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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 15.djvu/321

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lorsque le révérend Amos Barton vint à son tour remplacer Parry.

Honnête et médiocre, têtu et peu éclairé, porté aux innovations par une émulation sotte, non par vocation originale, — brave homme d’ailleurs, mais pauvre diable dans toutes les acceptions de ce mot fâcheux, — Amos Barton ne devait pas réussir. Et d’abord il se trouvait en face d’un effrayant problème. Arrivé à Shepperton par délégation, et. non comme titulaire (incumbent), il recevait de M. Carpe, le bénéficiaire en nom, un salaire fixe de 80 livres sterling[1]. La cure elle-même rapportait 35 livres de plus, mais M. Carpe les mettait purement et simplement dans sa poche. Ceci posé, le problème à résoudre par Amos Barton était de vivre et de faire vivre sa femme, ses six enfans, plus son unique servante, — neuf bouches en tout, — avec cet étroit revenu. Encore fallait-il ne pas se déshonorer, soi et l’église établie, en portant un habit trop luisant aux coudes, ou une cravate blanche aux plis trop marqués, ou un chapeau trop pénétré des malheurs du temps, ou des souliers trop ostensiblement fatigués de marcher dans la voie du Seigneur. Et si l’on songe à l’obligation où il était d’ajouter de temps en temps à ses consolations spirituelles quelques pièces de monnaie qui les rendissent acceptables aux malheureux, on aura une idée de la situation difficile faite au nouveau ministre.

Des secours, s’il en veut accepter, il en trouvera sans doute. Mistress Hackit, la riche fermière, devinant la détresse de la pauvre compagne du révérend Barton, si belle, si douce, si résignée, si laborieuse, si bonne mère, n’attendra pas une requête en forme pour lui envoyer un fromage et un sac de pommes de terre. En un moment de crise, si Amos, le cœur un peu gros, rédige en bons termes un exposé de sa pénible situation et l’adresse au chef de la famille Oldinport, il ne faut pas douter qu’il n’en obtienne un prêt de 20 ou 30 livres sterling, sans intérêts et à échéance indéterminée; mais ces tristes ressources, on en connaît le prix. On les doit à la pitié de quelques-uns; le public se les rembourse en dédains et en déconsidération. Ceux qui pourraient vous en demander compte n’y songent pas; mais ceux à qui vous ne devez rien, ceux-là se montrent créanciers impitoyables.

Voilà où en est Amos bien peu de temps après son installation. Aucune des démarches que lui suggèrent son cerveau remuant et son ambition niaisement crédule n’est favorablement accueillie ou interprétée. S’il change quelque chose à la liturgie, on l’accuse de méthodisme; s’il réforme un de ses chantres, de tyrannie tracassière. S’il met un hymne à la place d’un psaume et s’irrite de trouver

  1. Environ 2,000 francs.