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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 15.djvu/345

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tral. « Il faut bien, écrivait-il au milieu des loisirs forcés de la campagne de 1780, il faut bien se garder de confondre notre situation avec celle d’un empire gouverné par une hiérarchie de fonctionnaires se bornant à exécuter les décrets du souverain commun. Dans des états aussi simplement constitués, on peut craindre que le pouvoir ne soit trop énergique, et que les parties ne soient opprimées par le tout ; mais c’est contre la tendance opposée que nous avons à lutter. Le danger pour nous, c’est que le souverain commun n’ait pas les pouvoirs nécessaires pour lier entre eux les divers membres et en diriger les forces dans l’intérêt général. » Et il ébauchait dès lors le plan de la réforme constitutionnelle et du système financier qui ont fondé et consolidé l’Union.

Le grand mérite de Hamilton comme secrétaire du trésor, c’est d’avoir fait servir ses combinaisons financières à la grande pensée qui avait inspiré la constitution. En proposant au congrès de mettre à la charge de l’Union et d’acquitter intégralement toutes les dettes contractées pour la cause commune, celles des états particuliers comme celles de la confédération, il ne voulait pas seulement sauvegarder l’honneur national, relever le crédit américain, et donner au pays une leçon de probité par ce grand exemple de respect pour les engagemens publics ; il prétendait encore créer des liens entre les provinces en les unissant financièrement, fortifier le gouvernement central en ralliant autour de lui les capitalistes, introduire un nouvel élément de durée dans les institutions, que tous les créanciers des états seraient intéressés à maintenir. C’est ce caractère politique du projet qui aurait dû lui assurer l’appui de Madison. Personne n’avait plus activement concouru à battre en brèche l’ancien régime fédéral et à établir le nouveau. Personne n’avait autant mérité la haine des anti-fédéralistes et la confiance de Washington. Il avait refusé d’entrer dans le cabinet, mais on pouvait croire que c’était pour prendre le rôle de leader dans la chambre des représentans, dont l’entrée était interdite aux ministres. Il préféra se faire l’avocat des passions de ses électeurs virginiens et rétablir ainsi sa popularité, qui avait été compromise par son dévouement à la bonne politique. Les planteurs virginiens étaient en général fort obérés. Pendant la domination anglaise, ils avaient contracté à Londres des dettes écrasantes, et pendant la période révolutionnaire ils avaient pris l’habitude de ne les pas payer. Elles n’en subsistaient pas moins, grossies d’un énorme arriéré. Arracher l’Amérique au désordre, c’était les menacer de ruine. De là leur humeur contre les principes fédéralistes, humeur que de récens débats sur la question de l’esclavage et sur celle des tarifs de douane avaient encore accrue, en mettant en lumière la diversité de mœurs et d’intérêts écono-