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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 15.djvu/377

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scrutin donnèrent successivement le même résultat. Pendant sept jours, la chambre resta en permanence, présentant le plus sombre aspect : les fédéralistes, inquiets sur la sagesse de leur conduite, mais s’obstinant à poursuivre leur folle entreprise ; les républicains, prêts à prendre les armes pour s’opposer à une usurpation ; le public, d’abord étonné et consterné, puis bientôt indigné. De guerre lasse, les partisans de M. Burr se rendirent enfin, mais trop tard pour effacer la mauvaise impression produite par leur résistance au vœu national. Au trente-sixième tour de scrutin, trois d’entre eux s’abstinrent, et Jefferson fut nommé président. Le parti fédéraliste était tombé pour ne plus se relever. Ni l’habileté de ses adversaires, ni ses propres fautes, ni l’épuisement de ses forces après le rude assaut qu’il avait soutenu, ni la division de ses chefs après la retraite du grand homme autour duquel il s’était groupé, ne suffisent à expliquer cette défaite définitive. Une cause plus profonde de faiblesse condamnait ce parti à périr. Il n’était pas en sympathie avec la nation, les esprits n’allaient pas naturellement à lui. Son autorité n’avait été acceptée que par un effort de raison, sous l’empire de la nécessité et sur la recommandation de Washington. Pour fonder le gouvernement de l’Union, pour lui faire traverser la crise produite par la révolution française, la démocratie américaine avait senti le besoin de remettre ses intérêts entre les mains des hommes les plus dignes et les plus capables de la conduire ; mais le gouvernement fondé, le danger passé, Washington mort, elle avait cédé à ses penchans : elle avait remplacé ses sages conseillers par des amis plus complaisans et plus agréables, elle avait donné l’empire à ses flatteurs et à ses favoris. Les fédéralistes la choquaient par leur supériorité d’esprit un peu exigeante, par leur sentiment presque européen de la dignité du pouvoir et de l’honneur de l’état, par leur passion de l’ordre et de la règle, par ce qu’on pourrait appeler leur besoin du superflu dans le bon gouvernement. La démocratie américaine avait des goûts moins élevés et moins délicats ; l’à-peu-près suffisait à son grossier bon sens, et elle se sentait à la fois gênée et humiliée par ce luxe de préoccupation du bien public. Hamilton lui-même reconnaissait que « l’erreur de son parti avait été de trop compter sur la rectitude et l’utilité de sa politique, ‘et de trop négliger la faveur populaire ; » mais il confessait en même temps son peu d’aptitude pour le rôle de courtisan des masses. « Chaque jour me prouve de plus en plus que ce monde américain n’était pas fait pour moi. Singulière destinée que la mienne ! Personne aux États-Unis n’a plus sacrifié pour la constitution actuelle, et cela malgré les plus tristes présages sur son sort. Je travaille encore à étayer le frêle et pauvre édifice, et, pour toute récompense, je