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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 15.djvu/525

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rien, et si le rigide pasteur de notre église veille bien à ce que nous ne recevions jamais d’autre visite que la sienne et celle de sa famille.

— Et ce n’est pas gai ?

— Non, mais j’aurais tort de me trouver malheureuse. Je travaille beaucoup avec ma gouvernante, je suis assez riche et ma tante est assez généreuse pour que je ne souffre d’aucune privation ; puis Mlle Potin est aimable, et quand nous nous ennuyons, nous lisons des romans,… oh ! des romans très honnêtes et très beaux, qui nous font oublier notre solitude et nous montrent toujours le crime puni et la vertu récompensée !

— Comptez là-dessus !… C’est égal, il n’y a pas de mal à le croire et à se conduire en conséquence… Mais dans cette solitude et à travers ces pages de roman aucun joli garçon ne s’est glissé dans la maison ou dans la cervelle, en dépit du pasteur et de la tante ?

— Non ! jamais, je vous le jure, monsieur Goefle, répondit Marguerite avec candeur. Cependant je peux bien vous dire que mon esprit s’était formé une certaine image du mari que ma tante m’a tout à coup annoncé il y a huit jours, et que, quand elle m’a montré M. le baron Olaüs de Waldemora en me disant : — C’est lui, soyez aimable ! — je l’ai trouvé si différent de mon rêve, que je n’ai pas été aimable du tout.

— Je le conçois. Alors votre tante…

— S’est moquée de moi. — Vous êtes une sotte, m’a-t-elle dit. Une fille bien née ne doit jamais se mettre l’idée de l’amour en tête. On ne se marie pas pour aimer, mais pour être une grande dame. J’entends que vous soyez baronne de Waldemora, ou bien je vous jure que vous resterez prisonnière toute votre vie dans ce château, sans voir âme qui vive. Je ferai plus, je chasserai Mlle Potin, qui a la mine de vous donner de mauvais conseils. Décidez-vous ; je vous donne un mois. Le baron nous invite à aller passer les fêtes de Noël[1] dans sa riche résidence en Dalécarlie. On s’y amusera beaucoup. Ce ne seront que chasses, bals et spectacles. Vous prendrez là une idée de sa richesse, de son crédit, de son autorité, et vous reconnaîtrez que vous ne pouvez jamais espérer un mariage plus brillant et plus honorable.

— Alors… vous avez dit oui ?

— J’ai dit : Oui, allons en Dalécarlie, puisque vous me donnez un mois de réflexion. — Je n’étais pas fâchée de voir un pays nouveau, des fêtes, des figures humaines enfin. Seulement, depuis huit jours que nous sommes dans ce pays, je vous jure, monsieur Goefle,

  1. Les fêtes de Noël en Suède et en Norvège durent du 24 décembre au 6 janvier.