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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 15.djvu/616

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dominatrices qui les lui aliéneraient. En cessant de reprocher au Monténégro son abstention dans la guerre d’Orient, en lui rendant dans ces derniers temps toute sa bienveillance sans afficher aucune jalousie de l’initiative d’autrui, elle a montré qu’elle comprenait J’indépendance et la dignité du faible ; elle s’est montrée fidèle à ses déclarations au congrès de Paris.

Quant à la France, aucune question d’humanité ne lui est étrangère ; elle représente la civilisation dans ce qu’elle a de plus universel. Elle n’a fait que revendiquer son légitime héritage en réclamant sa part de droits et sa part de devoirs dans la défense des jeunes nations roumaine et slave du Danube et de l’Adriatique. Quand il s’agit de leur sort, personne n’a plus qu’elle le droit d’être consulté, car elle est désintéressée, ou, pour mieux dire, son intérêt et le leur sont identiques. Leur liberté, leur autonomie, leur force, sont le triomphe de ses principes ; pour l’assurer, il faut seulement qu’elle ne doute pas d’elle-même. Son influence est d’autant plus sûre qu’elle est indépendante de toute considération locale, qu’elle est seulement sociale et politique dans le sens le plus pur et le plus élevé de ce mot.

Pour assurer au Monténégro et en général aux populations chrétiennes de la Turquie d’Europe les bienfaits d’une nouvelle situation politique, ce n’est pas assez cependant que d’amener la Turquie, l’Autriche, la Russie à une plus saine appréciation de leurs intérêts. Il y a une autre condition à remplir : il faut que l’Occident soit uni. Nous constatons avec joie la bonne harmonie sur cette question de deux puissances dont les discordes sont toujours un deuil pour la civilisation. La bonne intelligence de la France et de l’Angleterre n’est nulle part plus essentielle que dans les contrées où elle s’est manifestée récemment avec tant d’éclat. Sur ce terrain, leur rivalité ne peut résulter que d’un faux calcul ou d’un malentendu. Leur intérêt véritable et commun est tout entier dans la prospérité de ces contrées elles-mêmes. La divergence sur les moyens ne peut durer longtemps, quand on est primitivement d’accord sur le but qu’il faut atteindre.


H. MASSIEU DE CLERVAL.