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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 15.djvu/642

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tantes le prêtre et son acolyte. Ceux-ci avaient compris que les vieux croyans étaient en bons termes avec la police, et qu’au besoin elle leur prêterait main-forte.

On rencontre encore au fond des forêts, dans les provinces éloignées, des vieux croyans qui vivent en ermites. Il y a quelques années, un employé de la police, se trouvant en tournée dans le gouvernement de Nijni, apprit qu’un vieillard attaché au schisme habitait un ermitage dans une forêt voisine. Il s’y rendit. Cet homme était en effet l’unique habitant d’une pauvre chaumière, où l’on ne voyait d’autre meuble qu’un cercueil[1]. L’employé lui signifia qu’il eût à quitter cet ermitage et à rentrer dans le monde. Le vieillard le supplia de le laisser achever son existence dans ce lieu qu’il habitait depuis plus d’un demi-siècle ; le monde, livré, suivant les vieux croyans, à l’esprit de l’Antechrist, lui inspirait une profonde horreur. L’employé se montra inflexible et lui intima l’ordre d’abandonner son ermitage. Le vieillard, voyant qu’il ne parvenait pas à l’attendrir, le pria enfin de le laisser seul quelques instans pour qu’il pût faire ses préparatifs de départ. L’employé consentit à s’éloigner pendant une demi-heure. Au bout de ce court délai, il revint, mais la cabane était en feu. Le vieillard se tenait au milieu des flammes en chantant des hymnes. On chercha vainement à le sauver ; il périt de la mort des martyrs. Lorsque le bruit de cet auto-da-fé volontaire se fut répandu dans la contrée, les habitans considérèrent le vieillard comme un saint, et beaucoup d’entre eux embrassèrent le schisme[2].

D’un autre côté cependant, il est certain que tous les vieux croyans ne sont pas disposés à braver le martyre ni à finir leurs jours dans l’exil et la captivité. Un grand nombre d’entre eux, quoique fermement convaincus de la sainteté de leur cause, se décident à la renier en apparence, à fréquenter les églises orthodoxes, et même

  1. Les paysans russes ont l’habitude d’avoir toujours chez eux un cercueil en réserve.
  2. Ce n’est point uniquement dans les provinces éloignées qu’il faut aller chercher des exemples de cette fermeté des sectaires, résolus à braver la mort plutôt qu’à renier leur croyance. Les archives secrètes de la police de Moscou et de Saint-Pétersbourg nous offrent un très grand nombre de traits semblables. Au moment où les instructions du gouvernement étaient remplies avec le plus de zèle, un kvartalni (officier de police) fut chargé d’aller arrêter un vieux croyant qui habitait un des faubourgs de Moscou. Le sectaire le reçut sans manifester la moindre émotion ; mais pendant que l’agent de l’autorité se livrait à une perquisition, il essaya de se précipiter par la fenêtre de la chambre. Le kvartalni ne lui en laissa pas le temps ; après l’avoir accablé d’injures et de coups, il le remit entre les mains des soldats de police qui avaient cerné sa maison. Quelques jours après, le gouverneur de la ville apprit que le sectaire refusait toute nourriture et paraissait décidé à se laisser mourir de faim dans la prison où il était détenu. Le kvartalni fut chargé d’aller lui faire entendre raison, mais toutes ses instances furent vaines : le vieux croyant persista dans sa détermination, et mourut peu de jours après.