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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 15.djvu/798

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Il s’y introduisit en adressant à Mlle Potin, qui se tenait au dernier rang, quelques politesses auxquelles la pauvre fille fut très sensible. Marguerite le vit avec plaisir se joindre au cercle de jeunes gens qui entourait les chaises de ses compagnes, et en un instant celles-ci surent d’elle qu’il était « un jeune homme de grand mérite, neveu du célèbre avocat Goefle, l’ami intime de sa tante. » Quelques-unes pincèrent les lèvres et trouvèrent mauvais qu’un roturier osât venir leur faire sa cour avec les jeunes officiers de l’indelta[1], qui étaient généralement de bonne famille ; mais la plupart l’accueillirent fort bien et le trouvèrent charmant.

Le fait est que, comme beaucoup d’aventuriers de cette époque féconde en aventures, Cristiano était charmant. Par une particularité de type, dont il ne se rendait pas compte, il avait le genre de beauté qui devait plaire dans le pays. Il était grand, bien fait, blanc et frais de carnation, avec des yeux d’un bleu sombre, des sourcils bien marqués, d’un noir d’ébène, de même que les longs cils recourbés et la chevelure magnifique. Personne ne douta qu’il ne fût de pure race dalécarlienne, race tranchée et très différente des autres types Scandinaves. Il avait en outre quelque chose de particulier qui attirait l’attention : c’était une façon d’être étrangère au pays, une suavité de langage et de manières qui sentait la fréquentation d’un monde plus civilisé ou plus artiste, et comme un parfum d’Italie et de France attaché à sa personne. Dès qu’on le sut élevé en Italie, on l’accabla de questions, et toutes ses réponses marquèrent tant de bon sens, de franchise et de gaieté, qu’au bout d’un quart d’heure de babil toutes ces jeunes têtes raffolaient de lui. Sans être fat, Cristiano n’en fut pas surpris. Il avait été, en d’autres temps, habitué à plaire, et en voulant, à tout prix, se redonner le plaisir d’une soirée d’homme du monde, il savait bien qu’à moins d’un coup de théâtre qui compromettrait gravement son succès, il se tirerait de son rôle mieux que la plupart des gens titrés ou gradés qui se trouvaient là.

Cependant la petite comtesse Elfride, accrochée ou plutôt suspendue au bras du monumental baron Olaüs, avait passé deux fois sans rencontrer les yeux de Cristiano. À la troisième, elle toussa très fort, puis amena le baron jusqu’auprès de Marguerite, et Cristiano, qui comprit, s’arracha à l’enivrement de la conversation pour s’effacer et observer le personnage sans attirer son attention.

Le baron Olaüs était très grand, très gros et très beau en dépit de l’âge, mais d’une physionomie réellement effrayante par sa blancheur mate et sa sinistre impassibilité. Son regard fixe tombait sur vous comme ces coups de vent glacé qui ôtent la respiration, et sa

  1. Armée permanente domiciliée à vie dans chaque localité, et dont l’organisation est particulière à la Suède.