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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 15.djvu/901

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péenne de Lucknow avait fournis à la garnison de la place. Ce dernier s’arrête dans le voisinage d’une source et demande un peu d’eau. Quelques cipayes s’avancent comme pour lui donner à boire, et l’un d’eux, se glissant derrière ce malheureux, lui tranche la tête d’un coup de sabre. Le capitaine Hayes, sous les yeux duquel le meurtre venait de s’accomplir, porte la main à son revolver, mais, avant qu’il ait pu s’en servir, il tombe frappé d’un coup de lance. Une fois à terre, d’autres cipayes se jettent sur lui et l’achèvent. Au bruit de cette lutte, le lieutenant Barber regarde en arrière. Un simple coup d’œil lui apprend de quoi il s’agit. Il tourne bride et se jette résolument, le revolver au poing, sur les misérables assassins qui viennent de tuer leur chef. Deux d’entre eux tombent sous ses balles ; les autres l’entourent. Il fait alors encore une fois volte-face, pique des deux, et s’élance du côté d’Agra ; mais il est poursuivi, atteint, haché à coups de sabre. Un seul officier restait (le lieutenant Cary), excellent écuyer, monté sur un cheval de race, prompt comme le vent. Plus heureux que ses camarades, il s’échappa, de si près qu’on le suivît, et arriva jusqu’à Cawnpore… pour y périr, quelques jours plus tard, dans le massacre général. Le second détachement revint à Lucknow, ramené à temps par son commandant, qui avait pressenti les sinistres projets de ses hommes.

Ce tragique épisode était des plus significatifs. Cependant une certaine sécurité régnait encore dans la capitale d’Oude. L’état-major seul, auquel parvenaient les rapports quotidiens de la police, savait qu’une insurrection était imminente[1]. On avait essayé de la prévenir en dispersant les divers corps indigènes : les irréguliers étaient à l’ouest de la ville, dans le Mousabagh ; la police militaire à l’intérieur, autour de la prison et dans les palais Feradboukch ; les deux régimens d’infanterie régulière indigène dans les cantonnemens, avec une partie des forces européennes ; le surplus de celles-ci gardait les deux points essentiels : la Muchie-Bhaoun et la résidence. Un certain nombre d’habitans européens ne s’étaient pas encore transportés dans la résidence même de Lucknow, se croyant assez à l’abri dans une autre habitation du commissaire en chef, située au milieu des cantonnements. On y était en effet sous la protection d’une batterie européenne. Telle était la situation dans les derniers jours de mai. Les yeux expérimentés ne s’y trompaient guère. Il y avait eu des assassinats dans les rues de Lucknow ; on y voyait circuler, malgré les règlemens de police, difficiles à faire exécuter rigoureusement dans des temps aussi critiques, des hommes armés, ayant tout

  1. The Defence of Lucknow, a Diary, by a staff-officer ; London, Smith, Elder and Co, 1858 ; un vol. in-18, avec plan de la résidence. Cet ouvrage, publié sans nom d’auteur, est attribué au major Wilson, du 13e d’infanterie indigène.