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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 15.djvu/943

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compagnons de voyage durent traverser les quatre cents mètres d’eau qui leur barraient le passage ; quant aux chevaux et aux chameaux, ils passèrent à la nage, non sans courir de grands risques de se noyer, surtout les chameaux. Les rivières franchies, il n’y avait plus que trois petites marches pour atteindre Yola.

Dans cette ville, la bienveillance du cheik de Bornu et la présence d’un officier de ce souverain furent pour M. Barth une très mauvaise recommandation. Toutefois le gouverneur ne montra pas d’abord de trop mauvaises dispositions : il consentit à recevoir le voyageur, et lui donna audience dans une salle de son palais d’argile, assis entre deux larges piliers carrés sous une lourde charpente, et ayant à ses côtés son frère, un des principaux personnages de l’état. M. Barth, après les salutations d’usage, lui remit la lettre d’introduction du cheik Omar, qui le présentait comme un chrétien pieux et instruit voyageant pour admirer les œuvres du Tout-Puissant, et qui avait entendu raconter des merveilles de l’Adamawa. Le gouverneur lut la lettre, et la tendit sans rien dire à son frère. Alors l’officier de Bornu présenta ses lettres à son tour. À peine celles-ci furent-elles lues, que le gouverneur entra dans le plus violent accès de colère ; il adressa des reproches à l’officier, lui dit que les réclamations de son maître étaient injustes, et que si le cheik voulait la guerre, il était prêt. Puis sa colère se tourna contre le chrétien, qu’il accusa d’avoir des motifs autres que ceux qu’il avouait pour venir en Adamawa. Enfin, après deux heures de discussion relative aux frontières, l’ambassade fut congédiée. Le lendemain même, M. Barth reçut l’ordre de repartir de Yola et de l’Adamawa, sous prétexte qu’il n’avait pas pour y venir l’autorisation de l’émir de Sokoto. Le personnage chargé de remplir cette mission auprès du voyageur ajouta qu’une lettre du sultan de Stamboul, ou même de son propre souverain, l’aurait beaucoup mieux servi que la recommandation malencontreuse du cheik de Bornu. Enfin, en le quittant, il lui insinua que le gouverneur serait, malgré la dureté de son procédé, disposé à lui faire quelques présens et à recevoir en échange ceux qui pouvaient lui être destinés ; mais M. Barth montra une grande fermeté : il répondit qu’il était venu comme ambassadeur d’une puissance lointaine, et non comme un marchand pour faire du commerce, et quoique très souffrant d’une fièvre violente, et pouvant à peine se tenir à cheval, il fit ses préparatifs de départ. Installé sur sa selle, les pieds dans ses larges étriers, il se mit en chemin ; deux fois il tomba en défaillance ; mais sa force de volonté, la quinine à large dose et la vigueur de son tempérament surmontèrent le mal. Les habitans le suivaient en foule, lui demandant des charmes et des talismans. Beaucoup de ces pauvres gens, convertis depuis peu à l’islamisme, ne faisaient pas de distinction entre un chrétien et un musulman, et lui demandaient sa bénédiction. Ses chameaux, les premiers qu’on eût encore vus à Yola, excitaient une grande admiration, et des femmes passaient sous leur cou pour en être bénies, les regardant comme des animaux sacrés. Yola est une ville ouverte, de création récente, contenant environ douze mille habitans. Ses huttes, faites de roseaux et couvertes de chaume, sont entourées de champs cultivés ; la maison du gouverneur et de son frère seules sont en argile. Cette ville a trois milles de long de l’est à