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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 16.djvu/405

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avait été, plus que l’amour des combats, la cause de leur intrépidité, et qu’ils ne fourniraient jamais d’actifs auxiliaires à des luttes qui n’intéressaient en rien l’Albanie.

Les capitaines de l’Étolie et de l’Acarnanie parurent d’abord mieux disposés à se prêter aux vues de l’empereur de Russie. Le tsar voulait, à l’exemple de son aïeule, soulever les Hellènes contre le padishah et les amener en même temps à reconnaître en lui l’héritier des césars de Byzance. Le commencement de ce siècle a vu Alexandre et Napoléon rêver la résurrection de l’empire d’Orient et de l’empire d’Occident, double rêve qui se serait peut-être réalisé sans l’ambition insatiable du vainqueur d’Austerlitz. Alexandre faisait si peu mystère de ses plans, qu’il accueillait dans les Iles-Ioniennes, avec toute sorte d’honneurs, l’élite des capitaines de l’Étolie et de l’Acarnanie. Les insulaires ne virent pas sans surprise au milieu d’eux Catzantonis, environné de ses cinq frères, ayant à ses côtés Christakis de Prévésa, Chamis Caloyeros, Christos Vlakos, Skylodimos, Zougos, Nothis et Kitzos Botzaris, frères du célèbre Markos. Tous ces chefs, convoqués par les agens du tsar, lui prêtèrent un serment de fidélité perpétuelle. Catzantonis, agissant en leur nom, jura de « ne poser les armes qu’après avoir reconquis l’indépendance de la Grèce sous la suzeraineté puissante de l’autocrate orthodoxe de toutes les Russies. »

Une manifestation aussi solennelle aurait pu faire croire que la Grèce était disposée à se soulever pour obéir au tsar. Pourtant il n’en était rien. Catherine II, en abandonnant les Grecs insurgés à sa voix, les avait rendus défians. Quand en 1798 Paul Ier s’allia avec les Anglais pour défendre l’intégrité de l’empire ottoman, ces défiances se fortifièrent. Aussi, lorsqu’en 1806 Alexandre, protecteur des Iles-Ioniennes, disposant d’une escadre formidable dans la Mer-Égée, déclara la guerre à la Turquie, les Hellènes ne dissimulèrent pas leur indifférence sur les résultats de la lutte. Ils crurent s’apercevoir que leurs intérêts et ceux du tsar étaient loin d’être identiques, et qu’Alexandre songeait moins au triomphe de la foi orthodoxe qu’à trouver à la suite de Pierre Ier et de Catherine II la route qui mène à Byzance. Le seul Catzantonis essaya de soulever l’Étolie. J’ai dit comment, fait prisonnier avec son frère George[1], il eut, par ordre d’Ali, les jambes et les cuisses écrasées à coups de marteau de forge. George, qui n’était pas, comme Catzantonis, affaibli par la maladie, supporta cet affreux supplice avec un héroïsme digne des plus beaux temps de la Grèce antique.

Un an avant la mort de Catzantonis, le traité de Tilsitt (7 juillet

  1. Voyez, dans la Revue du 1er mars 1858, la Poésie grecque dans les Iles-Ioniennes.