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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 16.djvu/413

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par les mains de la censure. Des agens répandus dans les lieux publics prêtaient une oreille d’autant plus attentive qu’on savait avec quelle liberté les Grecs, passionnés comme leurs pères pour la conversation, expriment toute leur manière de voir. Un tel régime pouvait plaire à lord Castlereagh, mais il n’était pas fait pour réconcilier les Ioniens avec le système gouvernemental du lord haut-commissaire.

Malgré les précautions prises par l’autorité anglaise, les nouvelles qui se propageaient avec la rapidité de l’éclair augmentaient l’irritation générale. La chute et le sac de Patras causèrent une si douloureuse émotion, que beaucoup d’Ioniens partirent avec des barques pour aller chercher des Grecs échappés à la fureur des vainqueurs, et les transportèrent à Missolonghi, à Zante, à Céphalonie et à Théaki. Ce zèle faisait avec l’indifférence des autorités britanniques un contraste qui n’échappait point aux Ioniens. C’est ainsi que, lorsque trente Zantiotes subirent à Patras l’affreux supplice du pal, on s’indigna que leurs « protecteurs » n’eussent tenté aucune démarche pour les arracher à la fureur des musulmans. Le gouvernement de l’heptarchie disait, de son côté, qu’il n’aurait point agi de cette façon si les insulaires n’avaient pas eu l’imprudence d’afficher leurs sympathies pour le tsar Alexandre. Il ajoutait que, la Grande-Bretagne étant l’alliée du sultan, il était obligé, dans sa position, à une stricte neutralité, mais qu’il croyait pourtant devoir engager les Hellènes « à n’avoir d’espérance qu’en eux seuls et à s’émanciper par leurs propres moyens. » Il faisait même entendre « qu’on pourrait les appuyer s’ils s’en montraient dignes, c’est-à-dire s’ils consentaient à devenir une digue aux projets ambitieux de la Russie. » L’Autriche était, il faut l’avouer, bien plus hostile aux Grecs que l’Angleterre; elle travaillait avec ardeur à seconder les Turcs. Le pape Pie VII, le roi de France, la confédération suisse manifestaient au contraire une véritable sympathie pour la cause hellénique. Quant au tsar Alexandre, livré aux incertitudes qui troublèrent les derniers jours de son règne, il était plus disposé à obéir aux événemens qu’à les diriger.

Si toutes les îles de l’heptarchie ionienne avaient été aussi calmes que Corfou, les mesures de police adoptées par le lord haut-commissaire auraient été probablement suffisantes; mais Céphalonie, Cérigo et surtout Zante, voisines de la Grèce, étaient beaucoup plus agitées. L’archevêque de Céphalonie, Mgr Bulgari, fut chassé de son siège et déporté à Venise. Une émeute ayant éclaté à Chiari, village de Zante, l’île entière fut mise en état de siège[1]. Plu-

  1. Le monument qui fut érigé à Zante en l’honneur de Maitland pourrait faire croire que cette île était favorable au commissaire. On avait écrit au-dessous de son buste de bronze : « Pour leurs espérances, les Zantiotes à Thomas Maitland. » Un écrivain favorable aux Anglais affirme (et le fait n’est pas contestable) « que les habitans