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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 17.djvu/104

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desquelles il demandait à être enseveli avec Albin, Daniel, et tous ceux du canton.

mort du barde de la petite-bretagne.
Mourir pour revivre.

« Douleur, douleur à toi, Petite-Bretagne ! — Gémissez et répandez des larmes, — rochers aux bords de la mer profonde, — et vous, chênes, au sein des forêts ! —

« La mort impitoyable, comme un loup sorti des bois au milieu de l’hiver, — fauche sans merci dans notre Bretagne ; — sa faux est toute rouge de sang. —

« Mais ce sang-là a bonne odeur ; — il sent la rose et l’aubépine blanche ; — car c’est le sang d’un barde, un vrai Breton, — qui partout chantait son pays.

« Brizeux est mort, le barde d’Arvor ! — Il est mort pour revivre en un monde meilleur. — Chantez le chant d’adieu, ô vous, forêts et mer ! — Rossignol de nuit, pleure son trépas. —

« Et vous, ô Marie, sur sa tombe priez Dieu et la Vierge, — et mettez une rose nouvelle à l’endroit du cœur du doux chanteur. —

« Mais où faudra-t-il enterrer le corps du barde qui chanta si bien le pays que nous aimons tous, — mer tout autour, bois au milieu ? —

« Mettez-le à la pointe du Raz, près de la mer profonde, où il entendra dans le vent le chant des blanches prêtresses de l’île de Sein.

« Ou bien encore mettez-le dans la plaine de Carnac, sous le plus grand des men-hîr, et près de là plantez un jeune chêne.

« Sur le men-hîr fruste et sans ornement vous graverez un petit livre doré, — et aux branches du chêne vous suspendrez une harpe. —

« Et le vent de mer, en passant, chantera des sônes et des gwerz, et sur les branches du chêne le rossignol pleurera toute la nuit.

« Ô Français, dans votre Académie vous n’avez pas voulu du barde de Bretagne, qui chanta toujours la patrie et la foi[1].

« — Et vous avez bien fait, — car dans un autre monde il est avec Gwenclan et Aneuzin (une académie qui n’est pas mauvaise), — avec Taliésin et Merlin.

« — Mais en Bretagne il y a des bardes encore ; — or chantez tous ses louanges en des gwerz qui vivront à jamais dans le pays.

« — Et moi, je voudrais avoir deux ailes et de grandes plumes pour m’envoler au loin par-delà la mer bleue, afin de dire à nos frères des contrées lointaines : — « Pleurez et portez le deuil ! »

« Il est mort, le barde de la Petite-Bretagne ! Bois de chênes, et vous, mer, pleurez ! » — « S’il est mort, c’est pour revivre d’une vie meilleure ! » répond une voix venue de loin[2]. »

  1. Ce reproche n’est pas tout à fait juste. Quelques jours après la mort de Brizeux, un membre éminent de l’Académie française m’écrivait ces mots : « Hier, à notre réunion du jeudi, on savait la triste nouvelle, et l’on s’en est fort entretenu, avec tous les regrets et les éloges dus à un poète qui appartenait par bien des côtés à l’Académie, et qui était fait pour lui appartenir de plus en plus. »
  2. L’auteur de ces vers est M. F.-M. Luzel.