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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 17.djvu/15

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talus opposé, où il avait été lancé, et accourait en s’écriant : — M. le baron ! où est donc M. le baron ?

— Quel baron ? dit Christian, qui venait de relever l’homme évanoui et qui le soutenait dans ses bras.

En ce moment, le fils du danneman poussa l’épaule de Christian avec la sienne, en lui disant tout bas : — Le iarl ! voyez le iarl ! — Et tandis que le jeune médecin du baron s’empressait d’ôter le bonnet de fourrure que la chute avait enfoncé sur le visage de son malade de manière à l’étouffer, Christian faillit ouvrir ses bras robustes et laisser retomber le moribond dans la neige, en reconnaissant avec une horreur insurmontable, dans l’homme auquel il portait secours, le baron Olaüs de Waldemora.

On l’étendit sur le monceau d’ours : c’était le meilleur lit possible dans la circonstance, et le médecin épouvanté supplia Stangstadius, lequel avait été autrefois reçu docteur en médecine, de l’aider de ses conseils et de son expérience dans un cas qui lui paraissait extrêmement grave. Stangstadius, qui était en train d’éprouver toutes ses articulations pour s’assurer qu’il n’était pas plus endommagé que de coutume, consentit enfin à s’occuper de la seule personne que la chute semblait avoir sérieusement compromise. — Eh ! parbleu ! dit-il en regardant et en touchant le baron, c’est bien simple : le pouls inerte, la face violacée, les lèvres tuméfiées, un râle d’agonie,… et point de lésion pourtant… C’est clair comme le jour, c’est une attaque d’apoplexie. Il faut saigner, saigner vite, et abondamment.

Le jeune médecin chercha sa trousse et ne la trouva pas. Christian et Olof l’aidèrent dans sa recherche et ne furent pas plus heureux. Le traîneau du baron, emporté par ses chevaux fougueux, était loin ; le cocher, pensant que son maître le ferait périr sous le bâton pour sa maladresse, courait après son attelage, la tête perdue, et remplissait le désert de ses imprécations.

Comme le docile cheval du danneman s’était arrêté court, on parla de mettre le malade dans le traîneau du paysan et de le transporter au château le plus vite possible. Stangstadius protesta que le malade arriverait mort. Le docteur, hors de lui, voulait courir après l’équipage du baron pour chercher sa trousse dans le traîneau. Enfin il la retrouva dans sa poche, où, grâce à son trouble, il l’avait touchée dix fois sans la sentir ; mais quand vint le moment d’ouvrir la veine, la main lui trembla tellement, que Stangstadius, parfaitement indifférent à tout ce qui n’était pas lui-même, et satisfait d’ailleurs d’avoir à prouver sa supériorité en toutes choses, dut prendre la lancette et pratiquer la saignée.

Christian, debout et fort ému intérieurement, contemplait ce