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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 17.djvu/157

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une meilleure occasion. Sur les moyens d’exécution, sur les principes mêmes, il y a des dissentimens; on ne sait pas nettement où l’on va ni par quelle route s’avancer. Ce qui manque surtout, c’est l’argent, et Bastiat est presque honteux d’être pauvre. « Si, au lieu de courir de l’un à l’autre, dit-il, à pied, crotté jusqu’au dos, pour n’en rencontrer qu’un ou deux par jour et n’obtenir que des réponses évasives, je pouvais réunir tout ce monde à ma table, dans un riche salon, que de difficultés seraient surmontées! » Et sur ce point délicat son scrupule est tel qu’il repousse tout concours qui paraîtrait suspect. La ligue anglaise dispose de sommes considérables; elle pourrait, par une subvention ouverte ou détournée, aider à un mouvement continental inspiré par son exemple et venant à l’appui de ses idées. Bastiat n’en veut à aucun titre ni sous aucune forme; sa fierté y répugne, et quand M. Cobden lui propose de faire traduire son livre à ses frais, il répond à cette offre gracieuse par un refus plein de dignité.

Cependant, au milieu de ces épreuves, le nom de Bastiat commence à se répandre, et c’est pour lui un dédommagement. Le volume sur la Ligue s’est rapidement écoulé, et quelques mois après la publication de ce livre l’Académie des sciences morales et politiques désigne l’auteur pour remplir une vacance parmi ses membres correspondans. Son titre le plus décisif fut le zèle qu’il déployait pour la défense des saines doctrines. Bastiat ne savait rien faire à demi; son tempérament le portait à devenir le martyr des causes qu’il avait adoptées. Il lisait tout, surveillait tout; on ne pouvait toucher à l’économie politique, l’attaquer, la dénigrer, sans qu’il n’intervînt; sa plume était toujours prête et sa vigilance n’avait pas de trêve. Découvrait-il, même dans des journaux sans crédit, des diatribes dont le dédain eût fait justice, il sentait son indignation s’allumer et y opposait de vertes répliques. Il n’épargnait ni les démarches ni le temps, allait droit aux agresseurs et engageait avec eux des négociations où il mettait seul une bonne foi qui souvent devait les faire sourire; puis, quand les moyens de conciliation étaient épuisés, il rompait en visière, cherchait à droite et à gauche un organe où il eût accès, ne se rebutait pas des refus, et finissait par trouver un débouché pour des réfutations aussi vives que péremptoires. Ce fut l’origine de ces petits volumes intitulés Sophismes économiques, et qui, nés de la circonstance, écrits au jour le jour, montrent le talent de Bastiat sous son véritable aspect. La verve, l’ironie, n’y manquent pas, et la pétulance du style est un agrément, une qualité de plus. Tous les lieux communs sur lesquels a vécu et vit encore l’école qui se prétend nationale y sont relevés de main de maître; l’auteur en montre le vide, en signale les inconséquences :