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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 17.djvu/170

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ques pour descendre à de pareils moyens; elle restait dans les réalités, ne conseillait pas l’impossible, et tenait un langage conforme à la nature des choses.

Voilà ce que Bastiat se proposait d’établir, et ce qu’il enveloppa dans une vue ingénieuse qui est la véritable originalité de ses Harmonies économiques. Il est difficile de dire ce qu’eût été cet ouvrage, si l’auteur l’avait achevé, et si la mort n’avait pas glacé sa main avant qu’il en eût écrit la seconde partie. Tel qu’il est, il ressemble à ces constructions frustes dont chacun peut compléter l’ordonnance, tant la pensée de l’artiste est visible et se dégage des parties qui sont debout. Bastiat part de ce principe, que dans les phénomènes économiques le désaccord n’est jamais qu’apparent, et qu’au fond l’harmonie se retrouve. Toutes ces oppositions d’intérêt qui semblent exister entre le producteur et le consommateur, le patron et l’ouvrier, le capital et le travail, celui qui possède et celui qui ne possède pas, ne sont pas des oppositions profondes, radicales, mais des oppositions secondaires, accidentelles, qui viennent se confondre dans l’harmonie générale qui régit les sociétés. Le tort de ceux qui s’appuient de ces oppositions, c’est de les isoler et de les grossir, de méconnaître surtout l’équilibre qui les règle et les compensations qui en modifient les effets, d’où il conclut comme axiome que « le bien de chacun favorise le bien de tous, comme le bien de tous favorise le bien de chacun. » C’est par suite de cette loi que l’humanité marche vers ses destinées, et que les classes tendent à une égalité chaque jour plus grande et à un bien-être dont tous les témoignages historiques montrent l’accroissement. Quant aux moyens, il n’y a point à choisir ni à hésiter : le seul qui soit efficace et vérifié par l’expérience, c’est le champ laissé à la recherche et à l’action, c’est-à-dire la liberté. Elle est la pierre de touche des civilisations, d’autant plus avancées qu’elle y règne davantage, et qu’en élevant l’individu, elle donne à l’association humaine plus de relief, plus de force et plus de grandeur.

Entrant dans l’analyse et cherchant à rendre son idée sensible, Bastiat étudie alors les phénomènes économiques au triple point de vue de l’intérêt particulier, de l’intérêt général et de la justice abstraite, et il n’a pas de peine à prouver que derrière les dissidences passagères il y a accord formel et définitif. Partout l’harmonie domine, une harmonie d’ensemble, bien supérieure aux troubles de détail. Plus il marche dans cette voie, plus les perspectives s’agrandissent, plus il découvre de conséquences auxquelles il n’avait pas d’abord songé. Ce n’est plus de l’économie politique seulement, c’est la science de l’humanité tout entière. Il en est ébloui et enivré; son sujet l’écrase, et il en convient lui-même. Il regrette alors de