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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 17.djvu/182

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arrêté entre les deux chefs; une subdivision envoyée en reconnaissance dans la Manche de Tartarie était attendue d’un jour à l’autre, et de son rapport devait résulter la ligne de conduite à adopter. On ne possédait en effet aucune espèce de renseignemens sur les mouvemens de l’ennemi, et l’on ignorait encore l’évacuation du port de Petropavlosk ainsi que l’habile évasion des vaisseaux russes qui y étaient renfermés. Les trois navires composant la petite division française étaient le bateau à vapeur le Colbert, la frégate la Sibylle, de 50 canons, et la corvette la Constantine, de 30, portant le guidon du commandant en chef. Depuis quelque temps, une singulière fatalité semblait s’appesantir sur nos bâtimens dans ces parages. D’abord la frégate la Jeanne d’Arc avait été contrainte par un échouage d’abandonner la station pour rentrer en France. Peu après, la Sibylle était décimée par une cruelle épidémie, qui laissait assez de vides dans ses rangs pour rendre impossibles les manœuvres journalières du bord; elle n’avait pu continuer sa navigation qu’en engageant cent matelots chinois, doublement ignorans et malhabiles sur le pont d’un navire européen, et certes c’était la première fois que le coup de sifflet d’un maître d’équipage breton commandait à l’empressement inexpérimenté de marins de l’empire du milieu. Un coup plus grave cependant devait encore nous atteindre. Le 21 mai, le Colbert sortait de la baie de Nangasaki pour se rendre en avant-courrier au port d’Hakodadi; à peine s’était-il éloigné d’une vingtaine de lieues, que, trompé par les cartes imparfaites de ces parages peu connus, détourné à son insu par les rapides courans qui rendent si dangereux l’archipel du Japon, il heurtait violemment de toute sa vitesse les roches aiguës d’un écueil invisible. Quand il rentra au port qu’il venait de quitter, on dut reconnaître que son état ne lui permettait pas de reprendre la mer de longtemps. La division française se trouvait réduite à deux bâtimens à voiles, et par suite privée, au moins en partie, de l’indépendance de ses mouvemens. On verra plus loin quelles devaient être les funestes conséquences de cette perte.

Les graves réparations qu’allaient nécessiter les avaries du Colbert imposaient au commandant de Montravel l’obligation d’établir avant son départ les meilleures relations possibles avec les autorités japonaises. Déjà, du reste, le début de son séjour à Nangasaki avait été utilement employé dans ce sens. Par un habile mélange de prévenance et de fermeté, il avait su se soustraire aux restrictions vexatoires que les lois du pays imposent aux navires étrangers, et, loin de formaliser le gouverneur de la ville par la franchise de ses allures, il l’avait au contraire si bien séduit que ce haut fonctionnaire en venait de son propre mouvement à manifester le désir de le voir. L’entrevue fut fixée au 25 mai. Une telle démarche venant