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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 17.djvu/235

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offrait-elle pas des démonstrations plus solennelles encore en faveur de la politique pacifique qui préfère l’émulation des deux plus grands peuples du monde à de sanglans et désastreux combats. La politique française, au commencement de cette année, se laissait dévier, sous l’influence d’une irritation irréfléchie, vers ces malentendus et ces fautes funestes qui amenèrent, à la veille du premier empire, la rupture de la paix d’Amiens. La guerre à outrance avec l’Angleterre et ce rêve d’un débarquement de l’autre côté de la Manche, que des inspirations soldatesques et jésuitiques s’efforçaient encore de ranimer naguère, ont été le point de départ de la politique extérieure du premier empire et la cause des effroyables calamités qu’il appela, après tant de stériles victoires, sur lui-même et sur la France. L’histoire de ce moment critique de la fortune de Napoléon et de la fortune de la France est à peu près inconnue parmi nous : elle reste encore à écrire ; mais sans examiner le détail des fautes qui rompirent la paix d’Amiens, qui ne voit avec quelle effrayante logique et quel incroyable fatalisme Napoléon se livra, et la France avec lui, aux conséquences de cette première et radicale erreur? Après l’avortement du camp de Boulogne, il fallut à Napoléon l’usurpation de la monarchie universelle et la monstrueuse absurdité du blocus continental pour arriver à faire échec à la suprématie maritime, à la prépondérance coloniale et au monopole commercial de l’Angleterre. A quoi aboutit cette politique? A donner précisément à l’Angleterre, quand vinrent les inévitables revers, tout ce qu’on n’avait pas voulu partager avec elle, car au moment de la rupture de la paix d’Amiens cette infériorité maritime à laquelle M. de Persigny se résigne aujourd’hui pour la France, et où il voit même un des principaux argumens en faveur de l’alliance anglo-française, était loin encore de nous être imposée. Imaginez que Napoléon en 1803, comprenant le présent et devinant l’avenir, eût préféré les concurrences de la paix au barbare hasard des batailles : au lieu de douze années de guerres ruineuses, la France aurait eu douze années de travaux industriels, d’activité commerciale et maritime. Nos ports n’eussent point été fermés au coton, à cette marchandise plus puissante que l’artillerie aux mains d’un grand capitaine, et avec laquelle les Anglais ont fini par nous battre. Nous n’eussions point renvoyé Fulton comme un fou. Nos installations manufacturières auraient marché de pair avec celles des Anglais. Nous nous serions enrichis, nous aurions fait du capital. Nous aurions exploité nos mines, et peut-être quelque mâle ouvrier français, dans les révélations du travail, à force de voir traîner sur les "tram-ways" les wagons chargés de houille, eût-il eu, comme George Stephenson, l’intuition de la locomotive, et, plus tôt que lui, eût appliqué la vapeur à la traction des voyageurs et des marchandises sur les rails. Qu’on suive l’hypothèse jusqu’au bout : croit-on que la France en 1815 eût été à une longue distance de l’Angleterre, même dans les voies où nous sommes obligés de reconnaître son incontestable supériorité? Comparez à ce rêve les réalités maudites de 1815, qu’on voudrait pouvoir extirper de sa mémoire, et dites si M. de Persigny n’a pas eu raison de désavouer hautement ces prétendus amis du nouvel empire qui voulaient recommencer en 1858 la faute irréparable de 1803?

Nous éprouvons une trop sincère satisfaction à penser comme M. de Per-