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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 17.djvu/251

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navale ne fut plus chaudement disputée. L’enthousiasme républicain, la confiance qu’avaient créée quatre années de guerre généralement heureuses, de 1778 à 1782, la mollesse ou l’inexpérience de beaucoup de capitaines anglais, auraient pu en ce jour, telle est l’opinion des meilleurs juges, faire pencher la balance de notre côté. Un sort fatal en décida autrement, et le combat du 13 prairial ne fut que le premier de nos désastres. L’arsenal de Toulon livré à la merci des Anglais fut un événement moins funeste. Dans la guerre, les pertes matérielles sont peu de chose : c’est l’effet moral d’un échec qui lui donne son importance.

L’année 1795 fut moins favorable encore à nos armes que le règne de la terreur. Depuis deux ans, notre marine croulait de toutes parts, sous les coups de la tempête comme sous les coups de l’ennemi. L’Angleterre, après avoir accru ses cadres de 600 officiers, s’apprêtait à mettre en mer 105 vaisseaux de ligne, 116 frégates et 155 bâtimens légers. Il n’existait plus aucune proportion entre les forces des parties belligérantes lorsque l’amiral Truguet fut appelé à la tête du département de la marine le 4 novembre 1795. Si l’on eût pu rendre alors à la marine française les officiers et les équipages de 1789, nos autres pertes étaient, de leur nature même, facilement réparables; mais il y avait trois mois à peine que la fatale expédition de Quiberon venait de livrer au bourreau la plupart des officiers et des canonniers qui avaient échappé par la fuite aux échafauds de 1793. La réorganisation de la marine, entreprise par l’amiral Truguet, devait se ressentir d’ailleurs du retour qui s’était opéré vers les idées républicaines après le triomphe obtenu par la convention dans les journées de vendémiaire. Plus d’un officier dont on aurait pu s’assurer aisément les services fut exclu à raison des opinions ou des sentimens qu’on lui prêtait. La révolution s’est toujours montrée ombrageuse à l’excès. Ce n’est point elle qui eût envoyé au-devant de la flotte de Tourville ces anciens compagnons de Jacques II qui gagnèrent la bataille de La Hogue. Des maîtres, des matelots même lui étaient suspects, et à Toulon, où la méfiance, il est vrai, eût pu être plus excusable qu’ailleurs, on avait vu des comités chargés de dresser la liste des marins et des ouvriers qui avaient donné des preuves incontestables de leur civisme. Malgré les ménagemens qu’exigeaient les terribles passions de ces temps malheureux, la nouvelle constitution du corps de la marine eut néanmoins le double avantage de rendre au service de la flotte quelques-uns des officiers dont on regrettait à bon droit l’absence, et d’en éloigner un plus grand nombre qui n’étaient faits que poulie déshonorer.

L’immense développement que l’Angleterre avait donné à sa ma-