Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 17.djvu/253

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

faire le service des hunes, et l’état-major était, s’il est possible, plus mal composé encore. A l’exception d’un de mes frères, nommé Durif, que j’avais réussi à faire embarquer avec moi, et d’un de mes camarades d’école nommé Michon, tous deux aspirans de marine, je ne pouvais accorder aucune espèce de confiance aux officiers du Milan. Ils étaient du nombre de ces officiers dont j’ai expliqué l’origine, et qu’on désignait déjà sous la dénomination railleuse d’officiers du maximum. Complètement dépourvus d’instruction nautique, ils affichaient de grandes prétentions qu’ils fondaient sur la pureté et l’exaltation de leur patriotisme. J’avais heureusement assez d’énergie et de persévérance pour triompher de leur mauvais vouloir et pour les plier à un service régulier. Je savais mon métier, ils ignoraient le leur. C’était plus qu’il n’en fallait pour prendre sur eux l’ascendant nécessaire aussitôt que nous aurions perdu de vue les côtes de France, et que la ressource d’odieuses délations leur serait ainsi enlevée.

Lorsqu’au sortir du port nous jetâmes l’ancre sur la rade de l’île d’Aix, une division de frégates, sous les ordres du contre-amiral de Sercey, en était déjà partie pour l’île de France. Nous y trouvâmes cependant encore une dizaine de frégates, deux corvettes et deux bricks. Les instructions que j’avais reçues du commandant de la marine à Rochefort me prescrivaient de me ranger sous les ordres du capitaine Raimbaud, commandant la corvette la Biche, auquel était confiée une petite division, composée du bâtiment qu’il montait et de deux bricks, l’Espoir et le Milan.

La division anglaise chargée de bloquer l’embouchure de la Charente avait été contrainte par un coup de vent de prendre le large. C’était une circonstance dont nos bâtimens légers et nos corsaires manquaient rarement de profiter. Aussi, laissant derrière nous les frégates, qui n’étaient pas encore prêtes, nous empressâmes-nous d’appareiller et de donner dans le Pertuis-d’Antioche, entre les îles d’Oléron et de Ré. La Biche marchait en tête, le Milan s’avançait au centre, et l’Espoir était le serre-file de la ligne. Nous n’allâmes guère au-delà de la tour de Chassiron. La division anglaise se montra soudain au large de l’île de Ré. Le vent la favorisait : elle se couvrit de voiles, et laissa arriver sur nous. Nous changeâmes immédiatement de route, n’ayant plus d’autre objet que de regagner au plus vite le port. Une des frégates anglaises nous approcha cependant avec une telle rapidité, que nous eûmes les plus vives inquiétudes pour le brick l’Espoir, qui marchait fort mal. Il est bien certain que, si nous eussions été plus éloignés de la rade de l’île d’Aix, ce bâtiment serait tombé au pouvoir de l’ennemi, et nous aurait peut-être entraînés dans sa perte, car nous tînmes à honneur de rester